Bonjour Nicolas, merci de nous accueillir aujourd’hui dans votre SCOP. Comment ça marche, c’est vous le chef ?!
(Rires) Bonjour ! Bienvenue. C’est une entreprise comme les autres, à laquelle on rajoute simplement quelques règles de démocratie.
Une des plus concrètes est la répartition égalitaire des droits de vote entre tous les collaborateurs, indépendamment de la part du capital détenu.
Lors de l’assemblée générale annuelle, 1 collaborateur = 1 voix. C’est bien ça ?
Exactement. Cela traduit une approche dans laquelle le partage des bénéfices se fait à l’aune de la valeur travail, en conservant toujours une part de réserve allouée à l’entreprise, et une part plus importante partagée entre les salariés.
Plus largement, s’inscrire dans cette démarche, c’est décider ensemble de faire la part belle à une éthique fondée sur la transparence, la responsabilité sociale et l’altruisme.
Comment ce format s’est-il imposé ?
Presque de lui-même. AR-C est née en 1993 de la rencontre entre un ingénieur, Philippe Coeur, et un architecte, Pierre Rigaudeau. J’ai rejoint l’équipe en 1999 après des études à l’ENSA Lyon et une spécialisation au Centre des hautes études du métal, le CHEM.
C’est au moment du départ à la retraite de Philippe Coeur, en 2015, que la question s’est posée. Nous savions que ce serait une reprise collective. C’était le sens de l’histoire, et le collectif occupait déjà une place centrale dans notre manière de travailler.
On s’est alors demandé ce qu’il était possible de faire et nous avons découvert le format SCOP qui nous permettait d’associer tous les salariés présents dans l’aventure..
Et aujourd’hui, combien êtes-vous ?
Nous sommes 11. Il y a des chefs de projet, des dessinateurs-projeteurs, une assistante de direction et un alternant. Tout le monde n’est pas ingénieur, mais notre équipe restreinte permet à des techniciens d’évoluer vers des missions de suivi de projet.
Vos projets, parlons-en : quelles sont les spécialités de votre bureau d’études ?
Nous intervenons presque exclusivement en maîtrise d’oeuvre. Ce qui nous conduit à une grande proximité avec les architectes dans les missions de conception et de suivi de réalisation sur les lots façades et/ou structures.
Le champ des possibles est large puisque nous explorons tous types de projets : bâtiments d’enseignement, bureaux, équipements sportifs, culturels, hospitaliers…
La seule limite est finalement géographique puisque nous opérons uniquement en France.
Ce qui ne vous prive pas de dépaysement : j’ai vu que vous aviez mené des projets à Mayotte ou encore à La Réunion !
(Rires) Oui, c’est vrai que nous avons quelques projets hors France métropolitaine, mais c’est assez exceptionnel. Nous menons une grande majorité de notre activité en région parisienne.
Vous n’avez pas cité le logement. Est-ce un choix d’en faire peu ?
Non, c’est davantage lié au fait que notre compétence y est moins indispensable. À cela s’ajoute sûrement le fait que les architectes avec lesquels nous avons l’habitude de travailler n’en sont pas particulièrement spécialistes… Ce n’est en tout cas pas ce que l’on vient chercher en premier chez nous !
Alors justement, dites-moi : que vient-on chercher chez vous ?
Un bureau d’études qui a de l’expérience en conception. Notre approche nous permet de cerner les désirs de l’architecte et du maître d’ouvrage, et nous permet d’envisager toutes les solutions techniques afin de retenir celle qui répond au plus grand nombre de critères requis par chaque projet.
Nous nous attachons à aller le plus loin possible dans la conception afin de faciliter la suite, et notamment la phase chantier.
Finalement, je pense qu’on vient chercher chez nous un partenaire structure et façade intégré à l’équipe restreinte autour de l’architecte.
C’est le maître d’oeuvre avec lequel vous collaborez le plus ?
Oui, c’est certain. En seconde position, je mettrais les bureaux d’études thermiques du fait de la grande proximité entre nos domaines d’intervention.
Lorsqu’un thermicien calcule les performances d’un bâtiment, il intègre forcément les paramètres de son enveloppe. En qualité de bureau d’études référent dans ce domaine, nous avons forcément des discussions sur les matériaux à privilégier.
Les ingénieurs environnementaux occupent une place de plus en plus prépondérante et nos échanges avec eux ne sont pas sans conséquence sur nos choix futurs.
Et alors… on s’entend mieux entre ingénieurs ou avec l’architecte ?
(Rires) Il n’y a pas de règles ! Si nous faisons le choix d’être spécialistes de la conception, c’est que nous aimons le dialogue avec les architectes. Avec, je le concède, des visions qui peuvent être parfois un peu… différentes !
C’est là tout l’intérêt de la collaboration, d’ailleurs. Nous essayons de comprendre les attentes et les contraintes de chacun afin de trouver la meilleure manière de travailler ensemble.
Comme quand Stefano Boeri, l’architecte de la Villa Méditerranée à Marseille, vous explique qu’il veut créer un porte-à-faux de 35 mètres…
C’est un cas extrême mais c’est exactement ce qu’il s’est passé ! (Rires)
Il y avait le dessin d’une forme, l’expression d’un volume et un parti pris assez radical avec ce porte-à-faux qu’on ne croise pas tous les jours, face auquel on s’est dit : « Ok, nous ne l’avons jamais fait, comment va-t-on procéder ? »
Notre rôle est de traduire structurellement la forme imaginée par l’architecte. En l’occurrence, pour ne pas la trahir, cela impliquait de ne pas recourir à des poteaux situés aux extrémités qui auraient radicalement transformé l’image du projet.
Ensuite nous avons joué notre rôle : calculer et envisager plusieurs solutions pour finalement proposer de grandes poutres treillis métalliques qui portent l’ensemble.
Un bâtiment qui a récemment trouvé sa vocation ! [ ndlr, une réplique de la Grotte Cosquer y est visitable ]
Oui, et une vocation plutôt très réussie ! L’exposition connaît un beau succès, qui fait plaisir.
D’un beau projet à un autre il n’y a qu’un pas dans le catalogue de vos réalisations : vous avez aussi oeuvré sur Roland-Garros …
Effectivement, nous avons eu la chance d’accompagner l’agence Chaix & Morel sur ce projet qui aura duré cinq années au total.
Sur ce site, tout était complexe : des premiers échanges, très politiques, sur la rénovation des lieux et les pistes envisagées au chantier entrecoupé tous les ans d’une pause de deux mois à l’occasion du tournoi de tennis international.
Ce qui, en matière de phasage, n’est pas sans contrainte… Aujourd’hui, nous sommes très fiers de cette réalisation qui est appréciée de tous !
Un projet au long cours donc …
C’est un peu facile !
Qu’est-ce qui occupe l’esprit lorsqu’on est à la tête d’un bureau d’études comme le vôtre ?
Actuellement, c’est de parvenir à dimensionner l’équipe à la charge de travail.
Cela veut dire que l’activité est bonne !
Oui, c’est certain, mais ce ne sont pas pour autant des problématiques à prendre à la légère et j’observe que nous ne sommes pas les seuls dans ce cas-là.
C’est d’ailleurs un peu étonnant quand on regarde le contexte d’ensemble qui est toujours présenté comme très… mouvementé !
Je ne constate pas de contraction de l’activité du bâtiment, dans son ensemble, en France.
Vous rencontrez des difficultés dans le recrutement ?
Oui, beaucoup. Davantage encore en façade. Il y a peu de formations, et les profils les plus intéressants sont souvent déjà en poste.
Nous nous tournons alors vers de jeunes ingénieurs, très compétents, mais dont l’intégration prend davantage de temps et nécessite un accompagnement spécifique, ce que nous ne pouvons malheureusement pas toujours nous permettre dans les périodes où la charge de travail est importante.
Ces difficultés de recrutement ne sont pas sans conséquence dans des professions comme les nôtres où d’importantes responsabilités reposent sur nos épaules.
Notre rôle dans le projet nous engage à bien des égards. Par le coeur que nous mettons à l’ouvrage d’abord. Et par les conséquences d’une erreur potentielle, ensuite.
Bien entendu, nous sommes assurés pour ça. Toutefois, le plus simple reste d’avoir le temps de vérifier, revérifier, prendre du recul sur le projet et ne pas travailler dans l’urgence.
"Nous essayons de comprendre les attentes et les contraintes de chacun afin de trouver la meilleure manière de travailler ensemble."
Cela fait vingt-cinq ans que vous êtes ingénieur structure et façade chez AR-C : que retenez-vous de cette aventure ?
La fierté d’avoir eu le courage de reprendre l’entreprise en SCOP. Cela n’allait pas de soi, et huit ans après, on peut le dire : le format fonctionne parfaitement.
Désormais, mon souhait le plus cher va être de transmettre et de faire perdurer le bureau d’études.
Vous savez, c’est un métier d’équipe. La construction est un secteur où, seul, on ne peut rien. Certes, c’est toujours un architecte qui dessine et qui est le patron, mais s’il n’y a pas de maçon pour monter le mur qui a été imaginé et que nous avons calculé, alors il n’y a pas de réalisation.
Tout cela, on s’en rend compte très rapidement lorsque l’on a la chance, comme nous, de suivre un projet du concours à sa livraison.