Une promesse est bien souvent aussi facile à faire que difficile à tenir. Celle sur le coût des travaux demeure un grand classique des sinistres de la construction. À la MAF, on rappelle que l’estimation des travaux résulte d’un processus en plusieurs étapes : « L’architecte doit obtenir de son futur client un budget avant la signature du contrat de maîtrise d’œuvre, il est de son devoir de l’alerter en cas d’inadaptation flagrante avec le programme », explique Michel Klein, directeur des sinistres. Cette étape franchie, le contrat de maîtrise d’œuvre s’établit sur la base d’une « enveloppe financière » déterminée par le maître d’ouvrage, correspondant à la somme affectée aux travaux et comprenant les honoraires de l’architecte. Les autres dépenses nécessaires à la réalisation du projet, telles que les études de sol ou l’intervention du géomètre, sont à estimer et à financer directement par le maître d’ouvrage (voir encadré ci-dessous). Enfin, comme le préconisent les contrats types de l’Ordre1, l’enveloppe financière est ajustée au fur et à mesure de l’avancement de la mission de l’architecte, parallèlement aux éventuelles modifications de programme.
Taux de tolérance
Dans le détail, après s’être une nouvelle fois assuré de l’adéquation du budget du maître d’ouvrage avec le coût qu’il estime nécessaire à la réalisation de l’opération au stade des études d’avant-projet sommaire (APS), l’architecte fournit l’estimation définitive du coût prévisionnel des travaux lors des études d’avant-projet définitif (APD). À lui de ne pas commettre l’erreur de s’engager sur un montant de travaux : « Une telle démarche transformerait son obligation de moyen en obligation de résultat, et l’architecte engagerait sa responsabilité pour un montant fixe sans marge de manœuvre », prévient Patrick Cormenier, responsable hauts risques financiers. La plus grande vigilance est de mise sur la rédaction du contrat de maîtrise d’œuvre. « Les architectes doivent rappeler que l’estimation des travaux est ajustée à chaque étape du projet », recommande Michel Klein. C’est particulièrement vrai lors d’une opération comprenant une intervention sur des ouvrages existants. Les diagnostics (structure, amiante, plomb…) ont un poids déterminant dans le niveau d’information du maître d’ouvrage, un simple constat visuel étant insuffisant pour tirer des conclusions sur l’état d’un ouvrage. Les sondages destructifs réalisés par des spécialistes peuvent révéler la dégradation de solives, une présence de termites, de champignons ou d’amiante, nécessitant des travaux lourds et coûteux. « L’architecte n’a pas toujours la possibilité de réaliser un diagnostic autre que visuel ou sommaire en matière de réhabilitation », rappelle Patrick Cormenier, qui ajoute : « Le contrat de maîtrise d'œuvre doit préciser que le maître d'ouvrage reconnaît avoir connaissance des risques de travaux supplémentaires nécessaires et non prévus découverts en cours de réalisation et qu’il s'engage à les prendre en charge. » En rénovation, le maître de l’ouvrage doit avoir une information précise sur ce qui peut être constaté, avant tout engagement de sa part, et sur ce qui sera réservé du fait de l’impossibilité de mener à terme les investigations nécessaires (site occupé, sondages destructifs non réalisables…).
Le conseil de la MAF
- Ne jamais s’engager sur un coût ferme.
- Boucler l’ensemble des marchés avant de démarrer un chantier.
- Refuser de travailler en l’absence des documents techniques d’études de sol, de relevés, de diagnostics, etc.
- S’adjoindre la compétence d’un économiste pour estimer l’enveloppe prévisionnelle de travaux.
- Prendre en compte l’aléa dans le contrat de maîtrise d’œuvre en cas de diagnostic incomplet (diagnostic seulement visuel) : reporter à plus tard l’estimation complète de l’ouvrage si nécessaire.
- Inciter le maître d’ouvrage à sélectionner l’entreprise mieux-disante (et non moins-disante), quitte à retravailler le projet si l’enveloppe est dépassée.
LES CLÉS DE LA MAÎTRISE DU BUDGET
- Préalablement à la signature du contrat de maîtrise d’œuvre, le maître d’ouvrage indique son programme, le budget et le délai dont il dispose. L’architecte vérifie la compatibilité des données entre elles : il alerte son client si ce n’est pas le cas.
- Un contrat d’études préliminaires ayant pour objet de vérifier l’adéquation entre les intentions du maître d’ouvrage et les moyens qu’il se donne pour les concrétiser est éventuellement proposé ; une mission de diagnostics préalables ayant pour objet de vérifier l’état des ouvrages existants pourra être envisagée.
- Dans son contrat de maîtrise d’œuvre, l’architecte indique le budget du maître d’ouvrage, l’enveloppe financière (travaux, honoraires et frais directs) assortie éventuellement d’une marge de tolérance, de réserves sur l’état des existants, et complétée par la liste des dépenses non comprises dans l’enveloppe financière.
- L’architecte établit le projet architectural et l’estimation provisoire du coût prévisionnel des travaux (phase APS), puis l’estimation définitive (phase APD).
- En cas de dépassement du budget à l’ouverture des offres d’entreprises, l’architecte propose d’adapter le projet architectural pour entrer dans l’enveloppe financière initiale, avec ou sans modification de sa rémunération selon ce qu’il parvient à négocier.
Obligation de moyen
Idéalement, l’estimation définitive du coût prévisionnel des travaux ne dépassera pas le montant qui résulte de la consultation des entreprises. Dans le cas contraire, un taux de tolérance négocié à la signature du contrat peut fixer les limites du dépassement. « Au-delà de cette limite, l’architecte doit proposer au maître d’ouvrage d’adapter le projet architectural au budget », recommande Michel Klein. Ainsi, le choix des matériaux, l’aspect du bâtiment, la surface de plancher, voire certains éléments du programme pourront être réexaminés pour « faire entrer le projet dans le budget ». En agissant ainsi, l’architecte se donne les moyens d’atteindre l’objectif convenu avec son client. « L’architecte n’est tenu qu'à une obligation de moyen, mais encore faut-il qu’il se donne les moyens de respecter cette obligation », rappelle Patrick Cormenier, qui cite ici une jurisprudence récente sur ce sujet. Autrement dit, l’architecte doit conseiller son maître d’ouvrage, mobiliser ses compétences, se rendre disponible et « remettre sur le métier son ouvrage » pour atteindre l’objectif convenu. Notons qu’en marchés publics le taux de tolérance est la règle. Il est assorti de pénalités qui viennent en déduction des honoraires de l’architecte en cas de dépassement.
Informer par écrit sur les risques
« Dans de nombreux dossiers, la MAF parvient à démontrer, en présence d’un dépassement de budget, que le maître d’ouvrage avait été régulièrement mis au courant par l’architecte de ce dépassement, constate Michel Klein, notamment par la signature, d’avenants de travaux supplémentaires. » En cas de différend, si l’architecte peut prouver qu’il a correctement informé – par écrit – son client du dépassement prévisible de son budget, il ne pourra pas lui être reproché un manquement à son devoir de conseil. En revanche, si le maître d’ouvrage n’a pas validé l’évolution de l’enveloppe financière, l’architecte n’aura pas d’autre solution que de rechercher les adaptations du projet architectural qui permettront de rester dans le budget. Cela peut impacter les caractéristiques du bâtiment, nécessitant, par exemple, une modification du permis de construire. Le maître d’ouvrage peut alors décider d’abandonner tout ou partie du projet. « Rappelons que dans le cadre de son obligation de moyen, l’architecte doit informer et conseiller son client en cas de risque de dépassement de budget. En le faisant suffisamment tôt, il permet à son client de faire marche arrière et de s’adapter à la situation », recommande Patrick Cormenier. « Il faut impliquer le plus possible le maître d’ouvrage dans son projet pour qu’il ne découvre pas un surcoût, conseille Michel Klein, notamment lors du remplacement d’une entreprise par une autre qui prendra une marge financière de sécurité générant un inévitable surcoût de travaux. » Enfin, l’erreur classique, en particulier en maison individuelle, vient de l’architecte qui démarre le chantier sans disposer des devis des corps de métiers secondaires. Le maître d’ouvrage n’ayant pas de visibilité sur la totalité de son opération, il est contraint de stopper le paiement des travaux en cours en cas de dépassement. Le préjudice est avéré et l’architecte doit généralement supporter le surcoût qui en résulte. « Le juge apprécie ce type de situation en fonction des moyens dont dispose le maître d’ouvrage. Dans le meilleur des cas, la “perte de chance” qui n’oblige à prendre en charge qu’une partie du préjudice, peut être retenue par le juge », remarque Michel Klein
Les dépenses non comprises dans l’enveloppe financière
(D’après les contrats types de l’Ordre des architectes)
- Géomètre (relevés)
- Huissier (constat)
- Géotechnicien (études de sol)
- Diagnostiqueurs (plomb, amiante, etc.)
- Coordonnateur sécurité et protection de la santé (SPS)
- Coordinateur ordonnancement, pilotage, coordination (OPC)
- Bureau de contrôle (maîtrise des risques)
- Autres bureaux d’études et experts indépendants
- Taxes liées aux autorisations d’urbanisme
- Branchements divers (eaux potables et usées, gaz, électricité, télécoms)
- Assurances obligatoires ou facultatives
- Autres dépenses…
C’EST DU VÉCU !
1 : Le maître d’ouvrage était bien informé du dépassement des coûts
Dans une opération de rénovation d’une copropriété, la dégradation généralisée des murs sur toute la hauteur de l’immeuble n’a pu être découverte qu’après la dépose des plaques de marbre de façade. Le syndicat des copropriétaires avait été tenu informé du dépassement du coût entraîné par les travaux complémentaires vérifiés par le maître d’œuvre. La cour d’appel, qui a constaté que les parties avaient prévu dans le marché la possibilité de travaux complémentaires ou supplémentaires afin de tenir compte des aléas qui surviendraient en cours de chantier, a retenu que l’architecte n’avait pas commis de faute à l’origine du dépassement du budget. (Cour de cassation, 1er juin 2017, n° 16-15857)
2 : Les capacités financières du client doivent correspondre au projet
La responsabilité de l’architecte a été retenue pour ne pas s’être assuré que le projet envisagé correspondait aux capacités financières du client : « Il entre dans le devoir de conseil des architectes de se renseigner sur les possibilités financières de leurs clients avant d’établir les plans et les devis ou de présenter la demande de permis de construire, de façon que le projet soit compatible avec les possibilités de ces derniers et leur soit donc utile. […] Il existe donc bien un manquement suffisamment grave des professionnels à leurs obligations contractuelles de conseil pour justifier la décision de rupture prise par les intimés. »
(Cour d'Appel de Pau, 21 novembre 1991, n° 1936/90, JurisData n° 1991-050266)
3 : La faute commise n’est pas à l’origine des travaux supplémentaires
Une entreprise demande le paiement de travaux supplémentaires (TS) au maître d’ouvrage. Le tribunal administratif condamne ce dernier à payer ces travaux dont la presque totalité est reportée sur le maître d’œuvre. La cour administrative d’appel infirme ce jugement : même si le maître d’œuvre avait identifié ces TS avant qu’ils ne soient réalisés, il n’est pas établi que le maître d’ouvrage aurait renoncé au projet, ni que le coût de la construction aurait été inférieur à celui qui a été finalement supporté. L’idée est de ne tenir le maître d’œuvre responsable que si la faute commise est à l’origine exclusive du paiement des TS, ce qui constitue un positionnement plutôt favorable à la maîtrise d’œuvre. Cette décision clarifie les rapports entre l’entrepreneur, le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre en cas de TS. (Conseil d’État, 20 décembre 2017, n° 401747, Rec. CE tables)
4 : Le défaut de conseil sur l’étude de sol est impardonnable
La Cour de cassation considère que « l’architecte, tenu à un devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage, doit concevoir un projet réalisable, qui tient compte des contraintes du sol ». L’absence d’études de sols et l’inadaptation des fondations engagent la responsabilité de l’architecte. D’une manière générale, les juges sont particulièrement sévères sur le défaut de conseil en matière d’analyse des sols. (Cour de cassation, 25 février 1998, n° 96-10598, Bull. III n° 44)
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20 décembre 2024