Pour ce premier numéro de MAF & Vous consacré à un bureau d'études, nous sommes allés vers l'Ouest, là où le pain se dit bara et où il ne pleut jamais sauf lorsque l'on y est. C'est donc en Bretagne que nous avons rencontrés Yves Le Mot, co-président d'Ethis Ingénierie, bureau d'études spécialisé en centres aquatiques.
La collaboration avec l'architecte, la responsabilité qu'ils partagent, les difficultés qui menacent sont entreprise … Entre une bolée de cidre et une crêpe sucrée, il nous dit tout sur son métier.
1. Bonjour Monsieur Le Mot ! Merci de répondre à nos questions !
Bonjour ! Avec plaisir, merci de me les poser.
2. Prenons l'histoire par son commencement : vous êtes ingénieur. Comment s'opère votre participation à un projet de construction ?
Notre rôle, en tant qu'ingénieur, est d'intervenir sur des études, des suivis d'exécution et des missions de services, avant ou après une mission de maîtrise d'œuvre. Le type de mission et le moment de notre action conditionnent la nature de notre participation : en amont d'un chantier, il s'agira d'une mission d'audit. En aval, il sera question de tester les performances de la construction en cherchant l'optimisation des équipements.
3. Voilà pour votre mission d'ingénieur, mais vous êtes également à la tête d'un Bureau d'études…
Avec Linda Lefèvre, nous codirigeons depuis près de 5 ans Ethis, un bureau d'étude basé à Lorient, créé en 1992.
4. Je crois savoir que vous officiez sur un marché très spécialisé …
Effectivement, nous sommes une vingtaine de collaborateurs, parmi lesquels une dizaine d'ingénieurs chargés d'affaires, spécialisés en centres aquatiques. Qu'entend-on par cela ? Des piscines publiques, des thalassothérapies, des centres thermaux ou encore des spas.
Au total, ces projets représentent près de 90% de l'activité du bureau d'études.
5. Il reste donc 10% "d'autre chose" !
Rien ne vous échappe ! Si les centres aquatiques représentent une part majeure de notre activité, il ne faut pas limiter le travail de nos ingénieurs à cela. De manière plus générale, nous intervenons partout où il nécessaire de contrôler l'atmosphère et l'hygrométrie. Des caractéristiques techniques évidentes pour les centres aquatiques, mais également pour les musées, les laboratoires, les hôpitaux, les Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou encore les salles de sport et les patinoires.
6. Si on simplifie, votre rôle à vous est de créer une sorte de bulle dans laquelle il est possible de tout contrôler …
Absolument ! Nous mettons notre savoir-faire en œuvre pour que les exploitants puissent garder la main sur l'ensemble des paramètres afin de garantir en permanence la qualité sanitaire des espaces, de l'air et de l'eau.
7. On imagine alors que votre expertise dépasse le cadre de la seule construction.
Nous sommes des concepteurs avant toute autre chose. Mais notre travail ne se cantonne pas à la construction et nous avons également une casquette de prescripteurs. Nous prescrivons un certain nombre d'équipements qui permettront à l'ensemble de satisfaire les attentes de la maîtrise d’ouvrage, à 85% publique dans notre cas.
8. Une casquette de maîtres d'œuvre que vous partagez, à minima, avec les architectes. Quelle relation entretenez-vous avec eux ?
Ce sont nos partenaires principaux ! Chez Ethis, nous travaillons avec de nombreux architectes et nous échangeons avec ceux que l'on rencontre au gré de nos projets. Ensemble, nous constituons des groupements de maîtrise d'œuvre composés à minima de l'architecte, d'un économiste de la construction, d'un bureau d'études structures et de nous-mêmes pour la partie fluides et thermique. Sur cette base peuvent ensuite se greffer d'autres spécialités de la maîtrise d'œuvre en fonction des besoins et des spécificités du projet.
9. Comment s'opère cette collaboration ?
Je ne révèlerai aucun scoop en disant que la base de cette collaboration s'appuie sur l'échange et la compréhension des objectifs de chacun des experts présents.
Cependant le point de départ est invariant : tout commence par la compréhension des attentes du maître d’ouvrage et du projet de l'architecte qui en résulte. Il s'agit ensuite de trouver les réponses adaptées à la réalisation. Trop souvent l'ingénieur passe pour le maître d’œuvre qui trouve des problèmes plutôt que des solutions.
Ai-je besoin de préciser que ce n'est pas le cas ? Les solutions adaptées à la construction d'un bâtiment performant sont le fruit d'une collaboration efficace de chacun des acteurs.
10. Quel parcours suit-on pour devenir CEO d'Ethis ?
J'ai une formation d'ingénieur et de juriste en environnement. A l'origine, je travaillais pour une major du BTP avant de la quitter et de rejoindre un grand groupe (SUEZ).
J'y ai passé une quinzaine d'années, et au retour d'une expatriation au Moyen-Orient, je ressentais le besoin de me fixer un nouvel objectif. Restait à savoir lequel. L'entreprenariat s'est rapidement imposé.
Chez Air Liquide, spécialisée en fluide et bien aidée qu'elle était par son doctorat en sciences, Linda Lefèvre était dans les mêmes dispositions.
11. D'Air Liquide à piscine liquide il n'y avait qu'un pas à franchir ?
(Rires) Vous dire que nous cherchions un BE spécialisé dans ce domaine serait un mensonge ! Le choix d'un Bureau d'Etudes s'est imposé assez naturellement, nous permettant de rester au contact de la technique que nous affectionnons particulièrement. L'opportunité de reprise d'Ethis fut un heureux concours de circonstances.
Presque 5 ans après avoir repris les rênes de l'entreprise, on peut le dire : tout va bien !
Enfin … Entendons-nous bien : tout va aussi bien que ça puisse aller pour une petite entreprise et son lot de stress, de joies, de hauts, de bas, de doutes … Le tout dans un contexte de maîtrise d’ouvrage à 85% publique où l'on maîtrise très peu les délais … et encore moins les échéances électorales !
12. Si vous n’aviez pas été ingénieur, qu’auriez-vous pu devenir ?
Elle n'est pas facile cette question ! J'ai toujours été attiré par l'artisanat et le travail du bois. Ebéniste ou charpentier de marine par exemple. Très loin de ce que je fais aujourd'hui !
13. Pas tant si l'on considère la notion de construction et de milieu aquatique …
Ou alors, l'aventure ! Partir à la découverte du monde et à la rencontre des gens. J'aime découvrir ceux qui ne vivent pas comme moi, prendre le temps de découvrir pourquoi ils font différemment et questionner mes propres façons de faire.
14. Pourquoi ne pas faire le tour du monde sur le bateau que vous auriez vous-même construit ?
Le rêve ! Mes origines bretonnes sûrement…
15. Il n'est jamais trop tard. Si on rembobinait toute votre vie d'ingénieur, sur quel moment on ferait un arrêt sur image ?
Elles sont beaucoup plus compliquées les dernières questions ! (Rires)
Je dirais que mes souvenirs les plus forts sont nés à l'occasion de mes plus grandes craintes. Un me revient particulièrement en mémoire : embauché en tant que conducteur de travaux, je suis en charge d'un chantier de pose de pipelines. Petite ombre au tableau, je n'y connaissais strictement rien !
J'en garde un sentiment de grande solitude, mais qui, bien des années après, s'impose comme un souvenir incroyable.
16. Quels sont les risques majeurs qui pèsent sur votre activité ?
Ils sont inhérents à la construction et rejoignent ceux des architectes : les délais de paiement qui explosent et la sinistralité.
J'ajouterais une autre difficulté : le temps. Comment faire face à l'augmentation des déclarations de sinistres en décennale pour lesquels, appelés à la cause, nous devons nous défendre tout en assurant une activité normale de l'entreprise ? C'est impossible et ce temps passé à nous défendre est du temps de production perdu dans des situations où notre responsabilité n'est en rien engagée !
17. Une défense qui est facilitée lorsque toute la maîtrise d'œuvre est regroupée sous la même bannière …
Il est évident qu'en cas de sinistre, lorsqu'à minima l'architecte, voire d'autres cotraitants sont assurés à la MAF, tout est plus simple. C'est aussi une force pour l'assureur qui se retrouve en possession de plus d'éléments dans le sens de notre protection. Avec toutes ces armes en main, c'est toute la maîtrise d'œuvre qui se retrouve mieux protégée dans la défense de ses intérêts !
18. Qu'est-ce que je peux vous souhaiter pour l'avenir ?
Notre pari, lorsque l'on a repris l'entreprise, c'était de la développer. Un développement que nous voulions dans le sens de la fédération des savoirs, de la découverte et de l'innovation, en quête permanente de nouveaux horizons.
Devenir le plus gros bureau d'études ou générer toujours plus de bénéfices ? Cela n'a jamais été notre ambition première. Alors pour l'avenir souhaitez-nous de continuer à fédérer une équipe d'ingénieurs heureux et passionnés par leur métier !
*Haut Qualité Environnementale
Sur le même sujet
22 novembre 2024