Grand professionnel de la maitrise d’ouvrage, Frank Hovorka aime et défend les architectes. Il nous parle de sa vision du rôle central de l’architecte dans ses projets, des évolutions que la profession lui semble devoir affronter et de sa vision du risque.
Les architectes doivent prendre toute leur place

Illustration : projet REVER, lauréat du concours "Réinventer la Seine" - Architectes : FAAR Architecture : Mathias Cordonnier, Léonard Chauvet / CAWA architecture : Rodolphe de Warenghien / Porteur du projet : LES APACHES / Promoteur : groupe QUARTUS. 

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 Il a sauté le pas au printemps et quitté la Caisse des dépôts pour rejoindre le groupe Quartus, « ensemblier urbain » fondé il y a 2 ans et qui a remporté cet été l’appel à projet « Réinventer la Seine » pour 3 sites. Ambitieux, le projet de Quartus est inscrit dans sa marque, contraction du mot "quartier" et de "us" signifiant en français "usages" et en anglais "nous". Son président le résume ainsi : « placer l’humain au cœur d’une nouvelle urbanité ». MAFCOM est allé vérifier où se plaçait l’architecte dans tout ça !

Des locaux récemment rénovés au centre de Paris, des espaces ouverts clairs : l’ambiance est cool mais bruissante d’une intense activité. L’homme qui nous accueille pour un entretien sur la terrasse en cette journée d’été indien est ouvert, précis et sans ambages. Il faut reconnaître que son expérience plaide pour sa compétence : après 10 ans à l’international sur de grands projets, chez Vinci puis dans le groupe Caisse des dépôts, où il va évoluer et se passionner très vite pour le développement durable et le BIM. Il est d’ailleurs co-auteur d’un ouvrage sur « L’efficacité énergétique dans le bâtiment » (Ed. Eyrolles).

Les architectes doivent quitter une position mortifère

« J’ai appris énormément avec Claude Parent ». L’hommage s’adresse au théoricien mais aussi au constructeur avec lequel l’aventure du centre d’affaires Myslbek édifié au milieu des années 90 à Prague noue une relation forte. Il apprend du chef d’orchestre et du  brillant façadiste cultivant l’oblique, il apprend également certainement du grand communiquant, qui a formé Jean Nouvel dans son agence.

 « J’éprouve beaucoup d’admiration et de bienveillance pour les métiers des architectes et j’estime qu’ils doivent regagner du terrain, reconquérir toute leur place ! ».

Sa position fait écho à celle de Jean -Claude Martinez qui répondant aux questions du Moniteur affirmait « L’architecte peut consolider sa place au cœur du projet » et développait son propos sur MAFCOM «   Pour relever le défi  technologique et qualitatif qui se présente à eux, les architectes, les bureaux d’études et les économistes de la construction, devront sortir de l’émiettement structurel dans lequel la commande publique, grande spécialiste du saucissonnage des missions, les cantonne depuis 40 ans ».

>> consultez « Pour une reprise en main de la maîtrise d’œuvre », dans Points de vue sur la profession et ses évolutions posté le 07/07/2017

Sortir des silos de spécialistes

Pour Frank Hovorka, l’architecte est celui qui est capable de sortir des silos de spécialistes pour redonner une forme de synthèse à l’acte de construire. Il considère que loin de prendre cette posture, ils s’en éloignent et les incite à regagner le terrain perdu.

« Je ne crois pas que ce soit en abandonnant les missions les unes après les autres que les architectes sont en mesure de tenir leur rôle de chef d’orchestre. ». C’est dans cet esprit que le numérique est un outil permettant de regagner le temps indispensable à la sérendipité.

>> Nous vous conseillons de relire l’article sur le  BIM inspiré par Franck Hovorka , alors à la Caisse des dépôts: les attentes d’un financeur du logement social.

De l’audace, encore et toujours de l’audace

En racontant les 3 projets lauréats de Quartus dans l’appel à projets « Réinventer la Seine », lancé conjointement par la ville de Paris, les agglomérations de Rouen, du Havre et l’établissement public Haropo, les yeux de notre interlocuteur pétillent.

  • Le premier, « Manufacture sur Seine », concerne la renaissance d’un site emblématique, l’ancienne usine des eaux d’Ivry-sur-seine. Le choix gagnant pour emporter le projet a été de créer un écosystème selon un modèle d’économie circulaire en sollicitant un maître en la matière, l’architecte chinois Wang Shu, Prizker price 2012avec les agences Joly-Loiret et Lipsky+Rollet engagées dans la même démarche d’utilisation de la terre recyclée des chantiers du Grand Paris et en expérimentant la récupération et le traitement des eaux usées sur place.
  •  Le 2° projet « Escales croisées », est situé en Seine Saint-Denis. L’ancienne cité administrative de Bobigny va connaitre de nouveaux usages, l’implémentation de l’économie circulaire et la mise en place de circuits courts. C’est Nicolas Michelin qui, avec Sequano aménagement, conduira l’orchestre.
  • Le 3° projet sera un ponton flottant au Havre. RÊVER abritera un hôtel-restaurant, un deck d’accostage et une promenade publique sur l'eau. Ce projet a été conçu avec ‘Les Apaches’,  une agence d’architecture  prônant « le fonctionnalisme écologique : une façon pragmatique d’aborder les projets tout en gardant à l’esprit les répercussions sur le long terme de chacune de nos décisions », selon ses trois fondateurs (Architectes : FAAR Architecture : Mathias Cordonnier, Léonard Chauvet / CAWA architecture : Rodolphe de Warenghien / Porteur du projet : LES APACHES).

Le monde a dérivé vers le fantasme du risque 0

Interpellé sur le risque qui sous-tend ces projets audacieux, Frank Hovorka répond nettement. « Construire, c’est potentiellement mal faire ! Il importe de regarder le risque intrinsèque, de l’affronter pour mieux le traiter et le suivre. Si on évite le risque en tentant de le reporter sur autrui, on le prend de plein fouet, mais trop tardC’est aux maitres d’ouvrages et constructeurs de définir avec leurs assureurs le risque acceptable et de le gérer ».

Le BIM constitue à ses yeux autant un outil de mesure et de maitrise du risque qu’un vecteur d’amélioration des relations entre les acteurs multiples de l’immobilier (de l’investisseur à l’ouvrier): « la qualité de la conception et de la construction a une influence décisive sur le coût global. »
Intégrant de plus en plus la maintenance dans les programmes les nouveaux acteurs de l’immobilier adoptent un nouveau paradigme…de la conception à la maintenance.

Traçabilité est le maître mot : ‘nos concitoyens veulent de la traçabilité dans l’alimentation, c’est une question de santé publique. Il faut de la traçabilité dans la construction et c’est le numérique qui, au moment de la livraison, dira comment on a fait notre boulot. Il nous aidera certainement à lutter contre la malfaçon et l’apparition de la contrefaçon qui devient un problème pesant. »
 

Interrogé sur les résultats tangibles du groupe de travail constitué par la MAF sur les impacts du BIM, il apporte une réponse en 2 temps :

- Le groupe de travail a répondu à la problématique actuelle de la maitrise d’œuvre. Il fallait donner un outil et à présent, nous l’avons.

- L’homme de stratégie reprend le dessus en formulant cette remarque « mais forcément, on ne retourne pas la table » !

 

Nous verrons dans une prochaine interview ce que Frank Hovorka entend par cette formule et développerons avec lui sa conception du risque et de l’assurance.

 

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