L’architecte peut-il se passer de chantier ? Peut-il renoncer à cette heure de vérité ? Certains maîtres d’ouvrage le pensent. Ils écartent le concepteur pour lui substituer un maître d’œuvre d’exécution au moment de passer à l’action. Leurs motivations sont multiples : confier l’exécution à plus costaud ; à moins exigeant ; à moins disant parfois... quand ils ne font pas que répondre tout simplement à la demande de l’architecte lui-même. Pourtant, l’architecte ne peut consolider ses connaissances techniques sans les confronter au terrain, sans mettre ses projets à l’épreuve des savoir-faire des entreprises, sans observer et conduire la main du compagnon lorsque c’est nécessaire.
Mais ce chantier d’enrichissement mutuel des connaissances, longtemps cité en exemple comme la meilleure formation continue, existe-t-il encore ? A l’heure de la maquette numérique, de l’image hologramme et de l’imprimante 3D, l’anticipation totale qu’imposent les nouvelles technologies aura peut-être raison d’une conception parachevée sur le chantier.
Comprenons bien nos maîtres d’ouvrage : la rentabilité court-termiste des programmes menés par les investisseurs les rend de moins en moins tolérants aux délais supplémentaires, aux surcoûts, aux aléas, dans un processus de fabrication des bâtiments pourtant très peu industrialisés. Pour eux, le souci du détail recherché par l’architecte n’est pas prioritaire. La garantie d’un ouvrage livré à temps, à coût et délais garantis, les obsèdent. Ces maîtres d’ouvrage ont besoin de « machines de guerre » pour surmonter l’épreuve du chantier dont le fouillis les laisse aussi perplexes que désemparés. L’architecte peut répondre à cette attente.
Mais que reste-t-il de sa capacité à diriger les entreprises, après 40 ans de saucissonnage des missions de maîtrise d’œuvre… et 10 dernières années de vaches maigres ? Où sont passées ses équipes « chantiers » ?
Impossible pourtant de reculer face à la montée des exigences des maîtres d’ouvrage. Elles sont également celle d’une règlementation qui ne cesse de progresser. A l’aube d’une relance de l’activité, l’offre de service des architectes est à revoir. En créant des entreprises de maîtrise d’œuvre partagées, les architectes développeront leur savoir-faire et leur expertise. Ils consolideront et crédibiliseront leur profession face à leurs clients et aux entreprises. En émancipant cette maîtrise d’œuvre sans l’abandonner à d’autres, ils s’affranchiront de l’environnement très concurrentiel dans lequel évolue la profession. A travers l’actionnariat, ils en feront le support économique dont ils ont tant besoin pour consolider leur activité de concepteurs. Enfin, grâce à cette maîtrise d’œuvre partagée, ils couvriront toute la chaîne de production des bâtiments jusqu’à la livraison des ouvrages.
C’est une révolution structurelle. Dans une profession atomisée telle que nous la connaissons encore aujourd’hui - plus d’un architecte sur deux travaille seul -, cette maîtrise d’œuvre d’exécution partagée pourrait bien être salutaire pour la qualité des bâtiments.
Epaulée par un assureur prêt à la suivre dans cette évolution pour l’aider à maîtriser ses chantiers, la jeune génération d’architectes se construira ainsi un avenir professionnel solide.
C’est la raison pour laquelle à la MAF, conscients des difficultés que peuvent rencontrer certains architectes dans les phases de suivi d’exécution, nous nous sommes lancés dans l’aventure de la création d’un « guide de suivi du chantier ».
Plus qu’un guide, il s’agira en fait d’une application Internet accessible sur tablette et smartphone, facilement utilisable par les architectes et leurs collaborateurs. Nourrie de l’expérience de nombreux adhérents expérimentés et de l’analyse détaillée de nombreux sinistres survenus en phase de chantier, cette application permettra aux architectes de surmonter les nombreuses embûches auxquelles ils sont exposés, en leur fournissant à la fois des repères théoriques, des recommandations pratiques ainsi que de nombreux outils prêts à l’emploi.
Comment les maîtres d’ouvrage pourront-ils se passer d’un intervenant aussi bien armé ?
Cette tribune a été publiée dans le cadre des Universités d’été de l’architecture, organisées par l’Ordre des architectes et soutenues par la MAF. Retrouvez la sur www.universites-architecture.org.
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20 décembre 2024