… comment le réemploi est une solution d’avenir, mais aussi à quel point l’avenir peut être incertain. Dans la jungle des recyclages, surcyclage ou upcycling, il n’est pas toujours aisé de savoir où positionner le curseur.
Dans mon cas, le doute n’est pas permis : Justin déconstruira Paul pour reconstruire Pierre. Après pierres.
L’idée est vertueuse : démanteler un site militaire désaffecté afin de construire un collège avec les matériaux récupérés. Le projet me plaît autant que sa philosophie et me voilà à l’assaut d’un chantier de réemploi.
Lecteurs assidus de mes aventures, vous le savez, lorsque je les raconte c’est qu’elles n’ont pas été sans péripéties. Et c’est peu dire que celle-ci n’échappe pas à la règle.
La conception commence. Parce que mon expérience m’a appris les vertus d’un bon accompagnement, je m’attache les services d’un assistant à maîtrise d’ouvrage spécialisé en réemploi et d’un bureau d’études structures qui aura pour mission de confirmer la pérennité des pierres de construction.
À la réalisation du collège s’ajoutent des contraintes spécifiques, entre quantités offertes par le gisement et problématiques de stockage. Mais nous nous en accommodons. N’est-ce pas ce que les exigences environnementales attendent de nous ?
La première vraie embûche survient lorsque le contrôleur technique nous impose de vérifier la conformité de l’intégralité des pierres aux obligations de solidité. Je ne m’attarde pas sur le « pourquoi » et m’inquiète tout de suite du « comment ».
Humainement autant que logistiquement, la tâche me semble herculéenne. Dos au mur (dont je constate alors la solidité), je tente l’échantillonnage auprès d’un laboratoire qui me confirme la robustesse des matériaux. On avance.
Trop risqué, selon le contrôleur technique, qui après avoir validé le principe se ravise en délivrant un avis défavorable. Pis, il doute des poutres dont les performances ne semblent plus satisfaire les normes incendies en vigueur.
L’assurabilité de l’opération est largement compromise. L’assureur de l’AMO et du BET brandissent la clause de technique courante et menacent de ne pas garantir leurs assurés. J’abats alors ma dernière carte : la réunion entre tous les intervenants. Les positions sont figées, le projet mal embarqué mais une ligne de crête se profile et me laisse une lueur d’espoir.
Pour que les choses avancent, il faut élargir le périmètre d’intervention du contrôleur technique. Comprendre : qu’une mission spécifique réemploi lui soit commandée. Problème : le maître d’ouvrage public ne peut pas faire d’appel d’offres.
La solution émerge et elle ne m’enchante pas, car elle va retarder le projet. Finalement, l’élargissement des prérogatives du contrôleur technique coïncide avec la levée des restrictions. La perspective de livrer le collège se dessine.
L’inauguration ? Il va falloir être patient. Nous n’en sommes là qu’à la phase conception.
Techniques non courantes : les bons réflexes
- Définir, en amont du projet, le recours, ou non, à des matériaux de réemploi et informer le maître d’ouvrage des contraintes particulières (qualification des matériaux, coût, délais...).
- Conseiller par écrit au maître d’ouvrage de confier une mission spécifique au contrôleur technique dès le début du projet sur la démarche de qualification des matériaux.
- Conduire sur site une vérification de base des matériaux à réemployer et mettre en place la méthodologie de validation des matériaux en accord avec le contrôleur technique.
- Conseiller au maître d’ouvrage d’alerter son assureur Dommages-ouvrage du recours à des techniques dites non courantes.
- Rédiger les pièces contractuelles entreprises en fonction de l’identification (CCTP fermé) ou non (CCTP ouvert) des gisements exploités.
- Prévoir une clause d’assurance spécifique sur le rachat de la clause de technique courante.
Les mésaventures de Justin Pépin sont tirées de faits réels rencontrés dans les dossiers "sinistres" de la MAF.
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