Dans une relation contractuelle, les parties ont l’obligation de s’informer mutuellement de manière à prendre les meilleures décisions. L’architecte doit alerter et conseiller son client dans la réalisation de son projet. En cas de litige, la production d’écrits est le meilleur moyen de prouver que le devoir de conseil a bien été rempli.
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Comment remplir efficacement son devoir de conseil ? Répondre à cette question, c’est d’abord rappeler ce dont il s’agit : cette obligation découle du principe selon lequel, dans une relation contractuelle, l'information doit aller de celui qui est supposé la détenir, de par ses compétences spécifiques, vers celui qui n'est pas censé la détenir1. Et cela de manière à ce que les parties se mettent mutuellement en mesure de prendre des décisions intelligentes, en pleine connaissance de cause. Cette obligation est tacite et n’a donc pas besoin d’être écrite dans le contrat pour que les parties y soient soumises. Elle pèse sur tout cocontractant détenteur d’un savoir spécifique, vendeur comme acquéreur, maître de l’ouvrage comme maître d’oeuvre, entrepreneur comme sous-traitant2. Pour tous, appréhender les exigences qui découlent du devoir de conseil permet de maîtriser le risque qu’il représente.

« En cas de litige, la recherche de responsabilité par le juge se fait sur une information, la capacité de chacun à la comprendre et à en être détenteur ou pas », précise Julien Fautrel, chef de service à la direction des sinistres de la MAF. Dans le cas du maître d’oeuvre, le devoir de conseil pose un préalable : l’écoute et la recherche des attentes de son client et l’information sur la nature de l’intervention des constructeurs. Il s’en suit éventuellement l’alerte en cas d’inadéquation entre ses exigences et le service attendu. Les objectifs recherchés par le client tels que les performances de l’ouvrage à réaliser sont déterminants. La pédagogie est donc au cœur du devoir de conseil dans la présentation des différents aspects de l’opération, notamment des risques, avantages et inconvénients. « Le devoir de conseil est rempli lorsque le maître d’oeuvre a bien expliqué la situation qui se présente au maître d’ouvrage, les conséquences qui en découlent et les choix qu’il convient d’adopter », précise Julien Fautrel. 

 

INFORMER, ALERTER ET CONSEILLER

Les manquements au devoir de conseil qui ressortent dans les affaires jugées donnent un aperçu de cette obligation permanente qui s’impose en particulier aux professionnels. Dans une affaire sans maître d’oeuvre, l’entreprise qui n’a pas informé son client en cours de chantier sur la présence de parasites l’a privé d’une information capitale pour y remédier à temps. Dans une autre, un industriel qui n’a pas cherché à connaître le contexte dans lequel allait être installé le « groupe froid » qu’il a vendu et qui n’a pas informé son client sur le niveau sonore du matériel à l’origine d’un trouble de jouissance a également manqué à son devoir de conseil.

Pour l’architecte et le bureau d’études, ce devoir de conseil ne vise pas que des questions de conception architecturale et technique. Il s’étend au budget, au site, au choix des entreprises et des matériaux, à la réception des travaux… selon l’étendue de leurs missions. Il s’adresse à tous les acteurs pour lesquels les informations sont utiles à la bonne marche de l’opération de construction : maître d’ouvrage, entreprises… Le maître d’oeuvre identifie les problèmes posés, les explique notamment à son client, présente les solutions qui s’offrent à lui3 et ses recommandations. En cas de litige, il leur est bien entendu toujours possible de rechercher la responsabilité d’autres intervenants dans les domaines de spécialité où ces derniers sont mieux informés que lui. « Attention, rappelle Julien Fautrel, vis-à-vis de son client, la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation incombe au spécialiste : c’est à lui de prouver qu’il l’a bien informé. »

 

DÉSORDRES CACHÉS NON RÉPARÉS

Les cas les plus divers mettent le maître d’oeuvre en situation de voir sa responsabilité engagée. Ainsi, parmi les grands classiques on trouve notamment : le défaut d’information du client sur le risque qu’il prend en ne faisant pas réaliser une étude de sol avant de lancer les travaux ; l’absence de mise en garde du client sur le choix d’une entreprise incompétente, disposant de moyens techniques insuffisants ou pas assurée pour les travaux qu’elle doit réaliser ; l’absence d’alerte du maître d’ouvrage sur l’inadéquation entre son programme et le budget de l’opération, ou de dépassement de budget en cours de chantier ; l’absence de signalement des vices et non-conformités apparentes lors de la réception des travaux, ou de désordres cachés non réparés dont le maître d’oeuvre a pu avoir connaissance pendant le chantier4, privant ainsi le maître d’ouvrage de réparations ultérieures dans le cadre du marché.

Moins classique est le risque flagrant d’effondrement d’un bâtiment qui jouxte le chantier, pourtant situé en dehors du périmètre d’intervention du maître d’oeuvre, mais dont il avait connaissance, et qui a fini par s’écrouler ; ou encore l’erreur de calcul du bureau d’études, sous-traitant de l’architecte, causée par le défaut d’information sur la finalité de sa mission.

Les défauts d’information concernent également les risques de troubles de voisinage. C’est le cas : du maître d’œuvre qui n’a pas alerté son client sur la perte d’ensoleillement de la maison voisine du fait de la construction future, pourtant conforme au PLU ; de cet autre concepteur qui n’a pas prévenu son client du risque de préjudice causé à ses voisins par les nombreux allers et venues de poids lourds desservant le chai qu’il a réalisé - en toute légalité - dans un secteur résidentiel et générant une dépréciation des fonds voisins.

 

PAIEMENT DES TRAVAUX À L’INSU DU MAÎTRE D’OEUVRE

Bien que l’étendue du devoir de conseil semble extensible à l’infini, la jurisprudence en rappelle certaines limites. Le maître d’oeuvre ne commet pas de manquement : lorsqu’il ne rappelle pas que les prescriptions du permis de construire doivent être respectées pendant la construction alors que sa mission est limitée à l’obtention du permis de construire ; ou lorsqu’il a bien averti de l’état très dégradé du bâti à rénover tandis que son maître d’ouvrage, professionnel de l’immobilier, s’est immiscé dans la réalisation en imposant des travaux insuffisants aux constructeurs (l’affaire a été appréciée ici en fonction des connaissances professionnelles du maître d’ouvrage).

Dans d’autres affaires, le maître d’ouvrage ayant payé trop de travaux à l’insu du maître d’oeuvre ne peut imputer les conséquences de cette erreur à ce dernier. Pas plus que le maître d’ouvrage, qui avait connaissance du caractère inondable de son terrain dès le dépôt du rapport d’étude de sol par le géotechnicien, ne peut reprocher à l’architecte ou au bureau d’études de ne pas lui avoir fourni une information qu’il détenait déjà.

Rappelons certaines limites d’ordre général au devoir de conseil : il ne s’applique pas : « aux faits qui sont de la connaissance de tous » ; au manquement au devoir de conseil sans lien de causalité avec le préjudice subi ; et à la prise de risque en pleine connaissance de cause, sauf en matière de sécurité des personnes. Concernant cette exception, soulignons qu’aucune décharge du maître d’ouvrage dument alerté par le concepteur ne peut exonérer la responsabilité du maître d’oeuvre. C’est par exemple le cas pour un garde-corps ne respectant pas la norme - ou inexistant - et présentant un risque de chute de personne5. Commandé par le maître d’ouvrage directement à l’artisan, le concepteur ne doit pas accepter que soit réceptionné un ouvrage qui met la vie d’autrui en danger. « A défaut de garde-corps respectant la norme et au terme d’un échange de lettres exposant la gravité du risque, sa seule réponse doit être la résiliation de son marché », rappelle Julien Fautrel.

 

ÉCRIVEZ, ÉCRIVEZ, ÉCRIVEZ !

A la lecture de cet article, vous estimez remplir correctement votre devoir de conseil ? bravo ! Faut-il encore le montrer concrètement en cas de litige. Le maître d’oeuvre qui n’est pas en mesure de prouver qu’il a bien conseillé son client est, par principe, plutôt responsable. Il vous faudra produire un écrit montrant que vous avez informé, alerté et conseillé, ainsi que la preuve que cet écrit a bien été réceptionné par son destinataire pour que votre responsabilité ne soit pas retenue. La lettre en recommandé avec avis de réception demeure l’outil le plus efficace. A défaut, le courriel adressé à l’adresse courante du client (il faut que le client utilise couramment cette adresse) ; le compte rendu de chantier auquel le client ou l’entreprise ont répondu (ou qu’ils ont signé à la demande du maître d’oeuvre) ; le contrat de maîtrise d’œuvre précisant les missions et leurs limites notamment ; les témoignages des participants à une réunion de chantier… sont requis. Alors : écrivez, écrivez, écrivez !

 

Pour en savoir plus :

La Boîte à outils chantiers de la MAF, chapitre 16 avec et ses modèles de lettres 16A « Garde-corps provisoires » et 16B « Garde-corps conforme aux normes ».
« Le devoir de conseil du maître d’œuvre », dans le guide de l’OGBTP Architectes, entrepreneur : mode d’emploi 2019.
 

Le conseil de la MAF :

En cas de mis en cause sur votre devoir de conseil, appelez votre référent MAF (et rappelez-vous que vous n’êtes pas le seul professionnel tributaire de cette obligation).
 

LA « PERTE DE CHANCE » DE FAIRE UN AUTRE CHOIX

Pour obtenir une indemnisation, un client doit démontrer : qu’il souffre bien d’un préjudice ; que quelqu’un a commis une faute ; et qu’il y a un lien entre les deux (c’est la faute de x qui cause le préjudice dont souffre y qui mérite d’être indemnisée).

Le préjudice peut parfois être exprimé en « perte de chance ». Cette notion juridique consiste à dire, lorsqu’un client ne s’estime pas informé des conséquences de ce qu’il fait, que le professionnel lui a fait perdre la chance de faire un autre choix. La conséquence de cette perte est généralement financière. Le préjudice s’apprécie sur un pourcentage appliqué à la somme en jeu. Exemple : une opération coûte 100 000 euros de plus qu’elle aurait dû coûter si le client avait été mieux conseillé. En estimant qu’il y avait une chance sur deux que le client prenne une autre décision s’il avait été correctement informé des choix qui s’offraient à lui, la perte de chance est de 50% du surcoût : l’indemnité retenue par le juge est de 50 000 euros.

 

 

1. Le nouvel article 1112-1 du code civil impose, à peine de nullité, de fournir à l’autre partie, avant la conclusion du contrat, les informations qui peuvent être déterminantes de son consentement.

2. Article L111-1 du code de la consommation : « Tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service. En cas de litige, il appartient au vendeur de prouver qu'il a exécuté cette obligation. »

3. L’architecte se méfiera particulièrement de ce qui peut apparaître « évident » pour son client et de ce qui lui semblerait ne pas nécessiter d’explication ou de conseil. S'agissant de la notion de faculté de compréhension du client, on admettra qu’elle est plus faible chez un maître d'ouvrage privé faisant construire une maison pour la première fois ou une petite commune ne disposant pas de service technique, que chez un professionnel de la construction et de l’immobilier, pourvu en son sein de compétences spécifiques à l’opération.

4. Peu importe en effet que ces désordres soient cachés le jour de la réception. Si la réception sans réserve est prononcée, il n’est plus possible de rechercher la responsabilité contractuelle de l’entreprise.

5. La Boîte à outils chantier de la MAF, chapitre 16 (outil 16A « Garde-corps provisoires » et 16 B « Garde-corps conforme aux normes »).