Cette semaine, nous avons rencontré Julien Perraud. Avec son atelier RAUM, il est récent lauréat du prix d’architectures 10+1.
Bonjour Julien, et bienvenue dans ce nouvel épisode de MAF & Vous. Tout d’abord : félicitations pour le « Prix d’architectures 10 + 1 » !
Merci. Nous sommes très contents !
Pouvez-vous nous présenter le projet ?
Bien sûr. Il s’agit de la réhabilitation-extension de la piscine municipale de Saint-Méen-le-Grand, en Ille-et-Vilaine (35). Nous nous sommes attachés à réutiliser tout ce qui pouvait l’être, en commençant par les toitures en ardoise, si typiques des paysages bretons. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous étions les seuls à vouloir conserver le maximum d’éléments…
Pour le reste, il s’agit d’un existant très ordinaire sur lequel nous avons essayé de tirer le meilleur en ouvrant de belles perspectives sur l’environnement direct, entre abbaye et terrain de foot municipal.
Un paysage finalement aussi beau qu’il est commun.
Et lorsque vous livrez le projet vous vous dites : c’est un potentiel prix.
Rires. Non pas spécialement. Comme nous le faisons systématiquement à la livraison d’un projet, nous avons envoyé quelques photos à la presse et puis… c’est tout !
L’aventure a donc commencé par une première surprise : d’architectures en a fait sa couverture de mai 2023. C’était notre première fois ! Nous étions super contents. Pour l’occasion, Maryse Quinton (journaliste chez d’architectures, ndlr) a fait le déplacement. Il faut croire que notre travail a plu puisqu’ils l’ont inscrit au palmarès du concours.
Et donc, rebelote, le jury arrive pour une visite ?
Exactement, puisque c’est une promesse forte de cette distinction (que la MAF soutient depuis sa création en 2019). Nous avons présenté notre travail et la générosité que nous avons essayé d’y mettre.
On peut dire qu’ils sont allés jusqu’au bout de la visite : c’était l’été, il faisait chaud, ils étaient venus avec leurs maillots de bain et se sont baignés ! Rires
Prix d’architectures donc, mais aussi Equerre d’argent avec le prix « Culture, jeunesse et sport » en 2019 et 2022, la Première Œuvre en 2010, 40 under 40… pour n’en citer que quelques-uns* : ça change quelque chose dans votre travail ?
Ça ouvre des portes, indéniablement. C’est le jeu actuel de la reconnaissance de notre travail et c’est une condition évidente de notre accès à la commande.
Vous évoquez le prix de la Première Œuvre (parrainé par la MAF) obtenu en 2010 : il nous a permis de créer notre agence et de la structurer. Sans cela, il n’y avait aucune raison que nous accédions à des projets plus « intéressants », ceux qui permettent de démontrer une démarche architecturale, un travail.
Que faisiez-vous avant 2010 ?
Avec Thomas (Durand, co-gérant) et Benjamin (Boré, co-gérant), nous étions dans les années suivants l’obtention de nos diplômes d’architectes (ENSA Nantes pour les trois). Nous intervenions pour des agences, sur une échelle réduite, sur des projets de scénographie. Nous répondions aussi beaucoup aux projets entrant dans le cadre du « 1% artistique ».
C’est à cette époque que nous avons livré un hangar ostréicole à Etel (56).
Qui sera « Première Œuvre » et qui lancera l’agence...
Exactement, ça nous a permis de lancer l’agence pour de bon et de répondre à nos premiers concours publics.
Ce qui finira par devenir une spécialité !
Nous ne sommes spécialistes de rien, sauf peut-être de la commande publique : 95% de notre production en est issue. Ce qui explique la diversité de nos réalisations !
Objets agricoles, conservatoires, salles de spectacles, projets communautaires associatifs, mairies, petits centres municipaux de santé, centre technique routier, logements sociaux, piscines (nous sommes très piscine en ce moment) …
Et depuis plus récemment, on peut ajouter à la liste « université » puisque nous avons le bonheur d’être lauréats de la nouvelle école de Paris Cergy.
Aucune limite donc ?
Les seules que nous nous fixons sont géographiques. Puisque nous suivons nos projets de l’esquisse à la livraison, sans exception, il nous faut nous limiter à des territoires accessibles depuis Nantes, où se trouve l’agence.
Cela nous conduit à sillonner une zone qui s’étale de Brest à Bordeaux en passant par la région parisienne.
Vous aimez le chantier ?
Oui. Notre approche crée un lien intime entre construction et conception. Dès les premiers coups de crayon, nous mobilisons des éléments constructifs très précis, nous questionnons la matière disponible à proximité et les éléments que nous pourrions éventuellement valoriser.
Nous ne considérons pas le chantier comme la fin de la conception. Loin s’en faut ! Il est l’occasion de valider des hypothèses ou au contraire de challenger certaines idées qui, au contact du réel, demandent à évoluer.
Notre organisation traduit d’ailleurs cette philosophie : il n’existe pas chez nous de pôles « construction » ou « conception ». Nous sommes une vingtaine d’architectes animés par l’envie de suivre un projet de A à Z.
Vous évoquez le réemploi de matériaux. Y avez-vous recours ?
Nous avons toujours été intéressés par le sujet. En 2008/2009 déjà, notre travail de « marbre d’ici » avec Stefan Shankland a été exposé et publié par le Pavillon de l’Arsenal et Encore Heureux qui avait le commissariat de l’exposition « matières grises ».
Est-ce que nous avons abandonné depuis ? Absolument pas. Mais notre approche a évolué, s’est nuancée, nous sommes moins dogmatiques : nous cherchons la cohérence des matériaux plus que l’affichage impératif du réemploi ou du biosourcé.
La question est éminemment complexe et nécessite une approche raisonnée et raisonnable. Le coût environnemental des matériaux est soumis à interprétation. Le bois est un bon exemple. Nous travaillons sur des projets de production et diffusion artistique avec notamment des studios d’enregistrement : parfois il est préférable d’utiliser des bétons lourds que de démultiplier les couches de Fermacell !
Nous préférons diagnostiquer les ressources disponibles en amont et décider en fonction d’un faisceau de paramètres qui ne sont jamais les mêmes d’un projet à l’autre.
Avec le choix des matériaux vient aussi la question de l’avenir du bâti actuel. Aujourd’hui, pour chaque bâtiment des années 60-70 arrivé au bout du voyage on se demande s’il vaut mieux démolir ou rénover. Récemment il y a eu l’exemple de la tour INSEE à Malakoff (92)…
J’ai certains de mes étudiants qui avaient même proposé de la transformer en Arena pour les Jeux Olympiques Paris 2024. Ils avaient obtenu le concours acier pour cela !
Ce n’est a priori pas l’idée qui a été retenue puisque la démolition a commencé… Que pensez-vous que les architectes se diront, en 2070/2080, de la production actuelle ?
Une chose est certaine : plus les années vont passer, plus il faudra des arguments forts pour justifier la démolition. La pensée actuelle n’a que peu évolué par rapport au paradigme des années 80 qui a imposé l’idée d’une table rase sur chaque projet.
Cette époque-là vit ses derniers jours me semble-t-il. On ne peut plus se permettre de tout raser au seul motif qu’une structure est un peu inesthétique ou un peu honteuse.
Nous vivons une époque où le meilleur côtoie le pire. La production architecturale sait être très variée, très enthousiasmante, soucieuse de la qualité et de la matière. Seulement, dès que l’on sort des zones patrimoniales ou historiques, le contraste peut être saisissant. Je pense par exemple aux zones pavillonnaires dont il est difficile de pronostiquer l’avenir à moyen terme.
Pour revenir à votre question, je n’ai pas de boule de cristal. Il m’est donc difficile d’y répondre. Ce que je sais, c’est que nous essayons humblement, et à notre niveau, de répondre de manière logique et cohérente à des questions qui touchent au bien commun.
Quel bonheur de livrer une salle des fêtes pour une petite mairie ! C’est une architecture qui me touche car c’est une architecture qui fait sens pour les centaines de personnes qui y créeront des souvenirs, pour le théâtre de l’école qui s’y installera, etc.
Sans transition : si vous n’aviez pas été architecte, qu’auriez-vous fait dans la vie ?
Effectivement, quand vous dites sans transition, c’est vraiment sans transition ! Rires
Je pense que je serai resté navigateur. J’étais skipper avant de devenir architecte et j’aimais cette vie.
Qu’est-ce qui fait un bon architecte selon vous ?
Je crois qu’il faut être un peu obsédé pour faire ce que l’on fait. Il faut être curieux de tout, de son époque et de celles qui l’ont précédées, de ce que produisent nos contemporains…
Tout cela impose une grande générosité. C’est ça la qualité première d’un architecte !
Et si je vous demande votre premier souvenir d’architecture ?
Le premier je ne sais pas, le plus fort j’hésite. Il y a d’un côté le travail d’Aalvar Alto (architecte, dessinateur, urbaniste et designer finlandais, adepte du fonctionnalisme et de l'architecture organique. 1898 – 1976), que j’ai beaucoup étudié pendant mon DPEA. J’avais fait le tour de sa production en Finlande et je le confesse : j’entretiens une histoire d’amour avec la mairie de Säynätsalo.
De l’autre j’ai aussi une espèce de fascination pour l’architecture sans architecte que sont les Katikiès, des abris pour bergers et leurs bêtes que l’on trouve en Grèce. J’aime cette utilisation de l’espace minimum née de la topographie du lieu.
Et enfin, qu’elle est votre plus grande fierté dans votre métier ?
Sortir les projets dans le contexte actuel. C’est une telle lutte de tous les instants : budget, délai, contraintes législatives…
Alors quand en plus on parvient à quelque chose qui fait sens avec son site, avec ses usagers… c’est là notre plus grande réussite !
* Prix et distinctions de l’atelier RAUM :
- Lauréat du Grand Prix d’Architectures 2023, 10+1 de d’A - Réhabilitation et extension d’une piscine communautaire
- Lauréat du Prix de la construction bois Bretagne 2023, catégorie réhabilitation - Réhabilitation et extension d’une piscine communautaire
- Lauréat Prix de l'Équerre d'argent 2022, catégorie “Culture, Jeunesse et sport”, AMC - Le Moniteur - Groupe scolaire Alice Guy.
- Lauréat Prix de l'Équerre d'argent 2019, catégorie “Culture, Jeunesse et sport”, AMC - Le Moniteur - Espace culturel des Pierres Blanches.
- Lauréat 40 under 40 European Architecture & Design Awards 2018.
- Lauréat Best Architects Architektur Awards 2018 - Conservatoire et Pôle d’Enseignement Supérieur Spectacle Vivant.
- Lauréat du Prix Architecture Bretagne 2016 - 2 maisons et 2 studios.
- Lauréat des Archi Design Club Awards 2015 - Maison de vacances.
- Lauréat du Prix COAL art & environnement 2011 avec Stefan Shankland - Marbre d’ici.
- Lauréat du Prix de la première œuvre 2010, Le Moniteur - Hangar ostréicole et lieu de repos.
- Lauréat des Albums des Jeunes Architectes et Paysagistes 2010.
- Mention prix Aperçu 2021, CAUE de Loire-Atlantique - Espace culturel des Pierres Blanches.
- Mention Spéciale du Jury du Prix Archinovo 2017 - 2 maisons et 2 studios.
- Mention spéciale du Jury du Prix Häuser 2016 - Maison de vacances.
- Mention Spéciale du Jury du Prix Archinovo 2015 - Maison de vacances.
- Nommé au prix 10+1, 2022 de d’A - Extension de l’Ecole d’Arts et Métiers.
- Nommé pour le EU - Mies van der Rohe Award 2022 - Espace culturel des Pierres Blanches.
- Nommé au Prix de l’Équerre d’Argent 2021, AMC - Le Moniteur - Bureaux, parking public silo et logements collectifs.
- Nommé au Prix Architecture Bretagne 2016 - Maison de vacances.
- Nommé au Prix de l’Équerre d’Argent 2015, AMC - Le Moniteur - Conservatoire et Pôle d’Enseignement Supérieur Spectacle Vivant.
- Nommé pour le EU - Mies van der Rohe Award 2015 - Maison de vacances.
- Finaliste des Architectural Review Emerging Awards 2019 - Espace culturel des Pierres Blanches.
- Finaliste des Architectural Review Emerging Awards 2017 - Conservatoire et Pôle d’Enseignement Supérieur Spectacle Vivant.