Chaque mois, MAF & Vous pose son micro sur le bureau d’un concepteur. Qu’il soit architecte, ingénieur, économiste, paysagiste ou encore architecte d’intérieur, il présente son activité et la vision qu’il en a.
Jean-Lou Boisseau, LBBA-Architecture

Comment transmettre une agence d’architecture ? Cette question en appelle beaucoup d’autres lorsque l’on est à la tête d’une agence d’une trentaine de collaborateurs qui fêtera bientôt ses 40 ans d’existence.

C’est le cas de Jean-Lou Boisseau, associé de LBBA architecture, qui nous en dit plus sur l’agence, sa philosophie et sa récente mutation en SCOP pour « Société COopérative de Production ».

Bonjour Jean-Lou, merci de participer à ce nouveau numéro de MAF & VOUS ! 

Avec plaisir !

Ensemble nous allons parler d’architecture et de la manière de la pratiquer. Car votre agence, LBBA, a récemment pris la décision de devenir une SCOP.  Nous allons revenir là-dessus, mais avant racontez-nous votre parcours.

Mon moteur a toujours été le contact et le rapport humain. Cela m’a d’abord conduit vers des études de médecine que j’ai quitté en 3ème année, pour leur préférer une sorte de médecine préventive : l’architecture ! Je l'ai étudié à l’école de Paris La Défense (qui n’existe plus aujourd’hui) pour les expériences qu’elle proposait à l’étranger.

Diplôme en poche et service militaire en tant qu’architecte réalisé à La Réunion, je rentre en métropole où je passe un entretien dans une agence qui s’appelait alors "Lobjoy & Associés".

C’est ainsi que démarre l’aventure en 2000…

Une agence que vous intégrez avant d’en devenir associé.

Oui, au bout de 6 ans… en parallèle de l’évolution du nom vers "Lobjoy & Bouvier & Associés", puis "Lobjoy & Bouvier & Boisseau" avant de devenir "LBBA-Architecture" pour désincarner le nom et s'ouvrir à l'avenir et de nouvelles associations !

Cette dernière évolution date de début 2023.

Des évolutions qui traduisent l’histoire de la structure … 

Tout commence en 1986, lorsque Ludovic Lobjoy fonde l’agence que Céline Bouvier rejoint 4 ans après, en 1990. Puis ce fût mon tour de devenir associé en 2006, avant que Sébastien Krafft ne le devienne en 2011. Ajouter tous les noms devenait difficile !

Nous avons donc tranché :  LBBA ; A pour architecture, associés, amour, etc…

Sur quelles typologies de commande intervenez-vous ? 

Très majoritairement en commande privée. La palette est large : bureaux, logements, équipements, hôtellerie…

Depuis presque 20 ans, nous avons développé une appétence particulière pour la rénovation et la restructuration. Bien avant que le sujet ne soit omniprésent, concevoir avec le patrimoine existant était déjà central pour nous. Au fil des projets et des années, nous l’avons cristallisé dans notre "Bureau Therapy" : une méthode d'étude pour rénover le déjà-là de la manière la plus légère et sensible possible, sans compromis sur les usages et le confort !

Cette discipline oblige à développer une culture du chantier, une relation intime avec la matière, des savoir-faire et une écoute particulière de ceux qui les mettent en œuvre. Mon plaisir au quotidien réside beaucoup en cela !

Nous continuons le développement de cette approche selon un nouveau prisme par nos réflexions au sein de notre "LabClimat" :  think tank interne qui, à notre niveau et en relation avec des partenaires engagés, nous permet de réfléchir collectivement sur la manière de fabriquer des projets adaptés au climat qui change drastiquement … avec les années 2050 en ligne de mire !

Car les bâtiments de 2050 se conçoivent aujourd’hui…

Oui, d’où la nécessité de changer de braquet tout de suite ! Il nous faut questionner nos réflexes, trouver de nouveaux partenaires impliqués dès la genèse du projet et abandonner la logique dans laquelle l’architecte a la charge unique et réductrice du « grand geste » !

Il faut plus que jamais savoir analyser l’existant, dans une approche holistique, pour intégrer les nouvelles préoccupations et les nouveaux modes de fabrication de l’architecture… C’est l’objet du LabClimat.

C’est un magnifique outil de réflexion et aussi un levier de recrutement !

Comment ça ?
L'évolution du climat concerne tout le monde et toute génération confondue. Néanmoins les nouvelles générations d’architectes sont plus préoccupées par ces questions-là que je ne l'étais en commençant ma vie d'architecte en 2000. Les jeunes que nous recrutons se retrouvent dans cette démarche qui donne un sens particulier à leur métier en recentrant sur le rôle sociétal de l’Architecte.

Que diront les architectes de 2050-2070 sur la production actuelle ?

Je trouve la période très intéressante. Nous, concepteurs, sommes collectivement et obligatoirement engagés dans l’écriture d’un nouveau modèle, en phase avec la société et le climat qui changent.

On parlera peut-être des années 2020 comme une période au cours de laquelle nous avons requestionné les façons de produire, une approche renouvelée des matériaux, mettant en avant la réutilisation du patrimoine plutôt que sa démolition, donnant une nouvelle place au vivant au sein de la ville, renouant avec le bon sens et le low-tech... De nouvelles pratiques qui créent de nouvelle esthétique ?

Une nouvelle intelligence de conception émerge.

Seriez-vous optimiste pour la suite ?

Il le faut ! Lorsqu’on lit les ouvrages de spécialistes sur le climat, il est tentant de tout arrêter et de dire « on est foutus ». Je crois au contraire qu’il nous faut passer le cap de la stupéfaction pour s’atteler concrètement aux solutions rendant, paradoxalement, la période captivante !

Désormais, les architectes ne sont plus cantonnés à l’arbitrage du beau et de l’élégant. Ils ont un rôle considérable à jouer au service de cette nouvelle vision de l’architecture et de la ville, au-delà même de la qualité des espaces et des usages, dans un monde qui change.

Questionner les modèles est une marque de fabrique LBBA : il y a le LabClimat et le récent passage en SCOP. Racontez-nous cela. 

C’est une aventure dans l’aventure ! (Rires)

Effectivement, le passage en SCOP depuis le 1er janvier 2024 est le fruit d’une longue réflexion entamée par Ludovic et Céline. La profession d’architecte est un métier complexe, dans lequel les savoir-faire doivent se sédimenter et se transmettre. Ce vecteur de connaissance, de transmission du savoir doit être l’entreprise. Dit autrement, ils ne croyaient pas beaucoup au modèle libéral où tout disparaît le jour du départ à la retraite du patron.

S’ajoutent aussi les réflexions sur la redistribution de la "richesse" créée par l’entreprise que se pose tout dirigeant. Dans un contexte de crises successives, comment redistribuer le plus possible aux salariés et à la R&D sans fragiliser l'équilibre fragile de nos structures ?

Il nous fallait trouver le bon modèle pour intégrer toutes ces réflexions, entre transmission, défi écologique et redistribution.

Qui s’est avéré être le modèle SCOP ?

Oui, il nous permet de répondre à plusieurs critères : la création d’un modèle d’entreprise qui permette d’embarquer les nouvelles générations qui le souhaitent, de matérialiser notre gouvernance plus transversale, d'améliorer le transfert de richesse à l'ensemble des salariés et de pérenniser la R&D.  

Comment cela fonctionne-t-il ?

L’élément essentiel est la décorrélation entre la valeur réelle de l’entreprise et le capital social. Cela permet d’accéder à l’actionnariat pour des montants compatibles avec la réalité d’un architecte en début de carrière. Et soudain tout est différent : vous embarquez vos futurs associés non plus sur la base de leur capacité d’investissement mais sur l’envie de faire de l’architecture ensemble.

Peut-on prendre un exemple pour bien saisir ?

Tout commence avec une part de l’entreprise dont le prix n’évolue jamais.

Cela a une conséquence : la valeur créée chaque année par notre activité est réinjectée dans l’agence et non dans la poche d’actionnaires. Comment ? Sous forme de participation pour tous les salariés ou encore dans la recherche et le développement. C’est une obligation statutaire lié au modèle SCOP que nous avons choisi, et pour nous, c’était ainsi l’opportunité de financer notre LabClimat par exemple.

Ça c’est à l’échelle de l’entreprise. Côté salarié, la conséquence n’est pas négligeable non plus. Lorsque l’on considère une structure comme la notre, d’une trentaine de salariés qui fait plus ou moins 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires et dont la valorisation correspond à peu près à ce montant, on comprend l’intérêt de la SCOP.

C’est-à-dire ?

Si vous souhaitez intégrer un associé en lui proposant d’acquérir ne serait-ce que 5% des parts, vous lui demandez d’investir 225 000 €, à financer sur 7 ans par un prêt professionnel.

Ce même associé potentiel qui, vivant en région parisienne, rencontre déjà des difficultés d’accès à la propriété. L’équation est intenable et la transmission quasi impossible.

Alors qu’en SCOP, le calcul est différent ? 

Oui, puisque le prix de la part n’est pas indexé à la valeur de l’entreprise mais défini à la création : 40 € dans notre cas.

Pour repartir de notre exemple, la somme à débourser pour devenir associé a été fixée à 5 000 €. Soit une différence de 220 000 € ! C’est une somme assez conséquente pour assurer le sérieux de l’aspirant associé, tout en rendant l’exercice possible.

C’est ça la philosophie de la SCOP.

Que change la SCOP dans la gouvernance, la gestion des projets, dans le quotidien de l’agence ?

Finalement pas grand-chose pour LBBA. Nous fonctionnions déjà sur la base d’un partage des tâches structurantes de l’agence et sur des arbitrages communs des grandes décisions. Ce qui va changer, c’est l’implication de nouveaux associés dans les décisions de l’entreprise. Chacun avec ses envies, ses aspirations.

C’est d’ailleurs le but de l’exercice : s’enrichir de la complémentarité, du foisonnement d’idées et d’échanges.

Vous intégrez donc de nouveaux associés à la suite de votre passage en SCOP ? 

Oui, c’est un peu le but de la manœuvre. Nous avons lancé un appel à candidatures auprès des collaborateurs au moment de l’annonce du passage en SCOP, avec une question simple : qui se lance avec nous ?

L’objectif était de trouver 3 nouveaux associés. Pour mes associés et moi, une telle décision personnelle doit être un acte volontaire et non la réponse à une sollicitation directe ! Mais la grande peur était surtout de se prendre un énorme vent ! (Rires)

Verdict ? 

Nous avons reçu 7 candidatures. Nous étions super heureux ! Nous avons pris le temps d’échanger, de comprendre les motivations, les ambitions.

Finalement, à ce stade, 4 collaborateurs se lancent dans l'aventure, qui portaient de beaux projets pour l’agence. Et à partir de là, on s’est donné environ 1 an.

Le métier d’architecte n’est pas simple. Celui d’associé non plus ! Il faut prendre le temps de monter progressivement sur les sujets.

Qu’est-ce qui fait un bon architecte selon vous ?

Il me semble qu’un bon architecte est avant tout quelqu’un de curieux du monde qui l’entoure et sensible aux courants que traverse la société dans laquelle il vit. Un humaniste engagé avant tout. Cela étant dit, il reste aussi un quotidien de précision, de travail et d’obstination avec lequel il faut composer.

Après chacun y vient avec son profil, son histoire, ses envies, il y a les scientifiques, les littéraires … la diversité est la richesse de l'agence ! C’est un métier de groupe.

Merci Jean-Lou !

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