Chaque mois, MAF & Vous pose son micro sur le bureau d’un concepteur. Qu’il soit architecte, ingénieur, économiste, paysagiste ou encore architecte d’intérieur, il présente son activité et la vision qu’il en a.
Roberto de Uña, A6A

Il y a les plans sur la comète et ceux qui se réalisent. Lorsque Roberto, Michel et Antoine se rencontrent en école d’architecture, ils s’imaginent le rêve que serait une association et la constitution d’une agence. Construire des projets qu’ils dessinent ensemble, et pourquoi pas être publiés et primés !

Quelques années plus tard, ce rêve un peu fou est devenu leur réalité. Rencontre.

A6ABonjour Roberto, merci de participer à ce nouveau numéro de MAF & VOUS ! 

Merci à vous pour l’invitation. 

Avant de commencer, petite précision sur un détail qui s’entend mais ne se lit pas : vous avez un accent. 

Effectivement, difficile de le cacher ! 

J’ai grandi à Saragosse, en Espagne, et suis arrivé à Bordeaux en 2005 dans le cadre de ses études en école d’architecture.

C’est à cette occasion que j’ai rencontré mes associés. Notre envie de travailler ensemble s’est renforcée pendant un échange universitaire au Chili avec Antoine (Ragonneau, ndlr). 

De retour en France, Michel, Antoine et moi avons décidé de monter une association d’étudiants alors appelée Atelier 6. C’était une sorte de continuité de l’école de Bordeaux qui compte 5 ateliers répartis dans 5 bâtiments. Nous imaginions créer le sixième, en centre-ville, plus proche de là où nous habitions. 

C’est là que les choses sérieuses débutent ? 

A ce stade de l’histoire, nous intervenions surtout en renfort d’une agence basée à Royan, l’atelier Archipel, fondée par le père d’Antoine. Une super opportunité qui nous a payé le loyer et mis le pied à l’étrier ! 

Une fois diplômés, vous vous dîtes : montons notre agence ? 

Oui, enfin nous avons surtout enchaîné sur l’HMO dans la foulée. J’ai pu la faire dans l’agence basée à Royan, sur des projets pour lesquels nous étions intervenus dans le cadre de l’association. 

Aussi naturellement, nous avons décidé de créer une agence a peine sortis d’école. 

Lorsque l’on est jeune diplômé à la tête d’une agence tout aussi jeune, à quelle commande a-t-on accès ?

Normalement, assez restreinte ! Mais nous avons eu la chance de pouvoir nous associer souvent avec l’agence de Royan qui a tout de suite bien voulu nous « prêter » certaines références. Je me souviens bien de notre premier projet : il s’agissait de l’extension d’un cimetière situé au pied de l’Abbaye classée de Sablonceaux, datant du XIIème siècle. 

Petit à petit, nous avons acquis une certaine légitimité et l’accès à la commande s’est ouvert. Plus proches, plus conséquents, les projets ont gagné en taille et en importance : maison de santé à Jarnac (16), complexe municipal avec cinéma en Charente-Maritime… D’abord à trois associés, et petit à petit les premiers collaborateurs sont arrivés. 

Travaillez-vous plus en maîtrise d’ouvrage publique ou privée ? 

Les projets et nos rencontres nous ont conduit à exercer beaucoup pour le compte de promoteurs immobiliers. Est-ce que c’est un choix ? Je ne crois pas. Les choses se sont faites ainsi.

Et puis en 2020 nous avons remporté le concours des Albums des jeunes architectes et paysagistes (AJAP). Nous avons alors décidé de mettre l’accent sur les projets de logements collectifs. La suite est une adéquation entre ce que nous étions, de jeunes architectes attestant d’une certaine expérience, et la volonté de certains maîtres d’ouvrage d’apporter un souffle nouveau sur leur production. 

Adieu donc la commande publique ?

Non. Aujourd’hui nous nous essayons à l’exercice délicat du concours. C’est un sujet qui nous occupe : comment revenir à la maîtrise d’ouvrage publique ?

Avez-vous envie de construire autre chose que des logements ? 

Nous aimerions bien nous essayer à d’autres typologies d’acteurs, de problématiques… J’aimerais beaucoup faire du scolaire et du culturel. 

Vous êtes espagnol. Deux modèles d’urbanisme se distinguent entre le modèle français, très pavillonnaire et qui n'a pas le vent en poupe, et le modèle espagnol, plus urbain, plus en appartements. Lequel vous parle le plus ? 

Je suis assez urbain donc j’aurai tendance à choisir le modèle espagnol. J’aime cette idée qu’on puisse tout faire autour de chez soi. Cela passe par une multitude de solutions parmi lesquelles la reconquête de friches industrielles, qui m’intéresse particulièrement. 

Et retourner travailler en Espagne, c’est envisageable ? 

Oui ! Rien n’est fait aujourd’hui et ce n’est pas concret mais nous aimerions un jour décrocher des collaborations sur des projets espagnols. Nous en avons déjà fait quelques-unes nos amis de Pampelune Tabuenca & Leache notamment, avec qui nous avions remporté le concours pour construire un Musée dans le Pays basque. Malheureusement le projet a été abandonné par la nouvelle équipe municipale. 

Ce n’est pas pour cette fois-ci, peut-être la prochaine !

C’est certain, mais ça reste pour autant une très bonne expérience. J’ai pu constater les différences de profils entre les architectes français et espagnols. En Espagne ils sont davantage dans l’exécution, dans le détail de ce que doit faire l’entreprise. Il y a une réelle méthodologie dans la gestion du chantier avant même que le projet ne soit sorti de la phase conception. 

Ici, la bataille se joue sur autre chose. 

J’imagine que c’est plus sécurisant pour le projet ? 

Oui. D’autant plus que cette pratique est associée à un savoir-faire des entreprises qui sont aussi moins dépendantes d’un excès normatif et réglementaire.

C’est plus sécurisant mais il est évident que cela demande plus de connaissances. Je voyais les architectes dessiner des choses dont je serais incapable ! 

Par exemple ?

Je pense à des détails d’agencement qui permettent de dissimuler des installations de climatisation. Cela repose sur une excellente connaissance des produits spécifiques adaptés au projet, associée à une capacité d’association avec des matériaux pertinents.

Ils avaient peut-être plus d’expérience que vous ? 

Indéniablement, cela aide. Mais ce n’est pas que ça à mon sens. 

En me promenant sur votre site, www.a6a.fr, je suis tombé sur un onglet appelé « Échos ». Qu’est-ce que c’est ? 

C’est une page qui essaie de raconter notre méthodologie. Il ne s’agit pas d’un moodboard. On y trouve de la littérature, de la peinture, des livres, des films, des réalisations architecturales… C’est un corpus de références qui font sens pour nous et que l’on retrouvera, d’une manière ou d’une autre, dans nos réalisations. 

C’est quelque chose qui nous tient particulièrement à cœur et que nous faisons systématiquement dans la présentation de nos projets. Nous prenons toujours une dizaine de minutes pour évoquer nos références artistiques, nos influences intellectuelles. 

Depuis 2019, vous avez enchaîné les distinctions et les prix. En 2023, vous avez été lauréats dans la catégorie Habitat du Prix de l’Équerre d’argent, pour un projet de 32 logements en « volume capable » quartier de Brazza à Bordeaux. Ma première question est simple : qu’est-ce qu’un volume capable ? 

C’est un logement en accession à finir soi-même. Ce qui le rend attractif dans notre cas, c’est la double hauteur systématique ce qui permet de doubler la surface… ou non ! 

Le volume capable est une nouvelle manière de voir la promotion immobilière dans laquelle le produit n’est pas l’appartement fini mais le potentiel de ce que l’on souhaite en faire. Plutôt que de présenter un T3 ou un T4 de manière très classique, le promoteur offre la possibilité à chacun de dessiner son appartement. 

Ensuite, libre aux propriétaires d’avancer à leur rythme. Il y a ceux qui anticipent et font tout faire dans la foulée de la livraison et ceux qui préfèrent prendre leur temps, faire une pièce après l’autre. 

On évoquait tout à l’heure la différence entre la France et l’Espagne, en voilà une autre : la culture « Leroy Merlin » ! (Rires)

Qu’est-ce que c’est que ça ?

C’est cette habitude très française de vouloir bricoler le week-end, d’effectuer les travaux soi-même ! 

Dans cette nouvelle approche du volume capable, notre travail d’architecte a consisté à dessiner plusieurs possibilités, différents aménagements possibles et les effacer après avoir vérifié qu'ils fonctionnaient. Sur ce projet, notre souhait n’a jamais été de dessiner les logements des futurs occupants. Il y avait une approche très expérimentale dans l’idée de laisser faire et voir ce que chacun en faisait. 

Comme conçoit-on un tel projet ? 

Il y a quelques prérequis. Je pense notamment à la gaine centrale qui nous permet de faire passer les différentes conduites et autour de laquelle doivent être disposées les salles de bain et les cuisines. 

Le reste du logement est très libre ! 

C’était une demande du promoteur ces « volumes capables » ? 

C'est le fruit d'une étroite collaboration. Ce projet a demandé un gros travail de structuration afin d’anticiper toutes les évolutions et de ne bloquer aucune hypothèse. De fait, ça ne vient ni d’eux, ni de nous, mais plutôt de la réflexion qui est née autour de ce projet. 

C’est un modèle qui a vocation à se développer ? 

D’abord, précisons que nous n’avons rien inventé en la matière. La réflexion remonte aux années Juppé (maire de Bordeaux de 2006 à 2019). A cette époque, les urbanistes en charge du renouveau de certains quartiers, dont Youssef Tohmé à Brazza se posent une question : comment faire du logement neuf qui plaise à ses occupants. Leur réponse : en supprimant le plus de contraintes possibles et en laissant libre cours à leurs envies. 

Une chose est certaine : nous sommes allés au bout du modèle. Nous avons même choisi d’être délibérément un peu naïfs sur notre rapport au foncier puisque le choix possible de la double hauteur altère la rentabilité du projet. 

C’était ma question : le rendement du plan est divisé par deux. Comment va votre promoteur ? (Rires) 

Il est très fier de ce qu’il a fait ! En revanche, il s’en mord un peu les doigts et ne le cache pas : il n’a pas bien gagné sa vie sur ce projet. Ceci interroge sur le modèle économique de ce type de projets, et malgré toutes les qualités sociétales qu’il peut apporter, on se demande même si l’opération pourrait vraiment se reproduire suivant le même schéma organisationnel.

Le projet a été livré en 2023. Savez-vous ce qui a été fait dans les appartements ? 

Oui, je suis cela de très près : j’en habite un moi-même ! Rires

Il y a des appartements habités en chantier. Ça pourrait faire peur à certains mais quand il est très propre et très organisé, le chantierpeut tout à fait être habitable ! 

D’autres ont été aménagés dès la livraison. Certains ont gardé la double hauteur, d’autres ont fait le choix de la surface de plancher supplémentaire… 

Ce qui est intéressant, c’est que tous les appartements font écho à la matérialité brute du bâtiment. On le retrouve partout. 

C’est une volonté de gagner des prix ? 

Disons que c’est encourageant. Ce projet était long : nous avons gagné le concours en 2014, et livré la réalisation en 2023. Il y a eu beaucoup d’étapes et un chantier qui s’est révélé très, très dur. Il fallait construire pour pas trop cher, garantir une prestation de qualité et trouver les entreprises à la hauteur. Il y a 4 ou 5 lots qui ont dû être substitués, des problématiques de toitures… 

Finalement, le Prix permet de retranscrire cette histoire de manière plus ouverte et publique. 

Malgré les difficultés du chantier, nous avons eu la chance de travailler en bonne intelligence avec un maître d’ouvrage agréable, à l’écoute, et toujours dans l’échange. 

Sur un projet aussi long, arrive-t-on à rester rentable ? 

Clairement non. Pas du tout même. C’est amusant parce que lorsque le projet a débuté, la Mairie nous a dit « vous êtes une jeune agence d’archi associée à un jeune promoteur : vous aurez tous beaucoup de temps à dédier à ce projet ! » 

Personne n’a été déçu… 

Quel est votre premier souvenir d'architecture ?

La nouvelle gare ferroviaire à Saragosse, construite par Carlos Ferrater.

Qu'est-ce qui fait un bon architecte selon vous ?

L’engagement sur tous les champs, sur tous les aspects du métier. Sur la partie conception, projet, prospection, nous avons du mal à compter nos heures. Gérer une entreprise et être architecte, c’est beaucoup, beaucoup, d’engagement. Mais c’est aussi de voir nos idées se construire. C’est l’une des choses magnifiques de notre métier.

Votre plus grande fierté dans le métier ? 

Pour parler plus personnellement, je dirais plutôt que c’est celle d’habiter dans un immeuble qu’on a conçu et construit nous-mêmes (et donc d’habiter un bâtiment primé à l'Équerre d’argent !).
 

Crédit photo : Rory Gardiner
Crédit photo : Agnès Clotis
Crédit photo : Agnès Clotis
Crédit photo : Agence A6A

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