L’architecte est particulièrement exposé aux sinistres coûteux dus aux défauts d’études géotechniques.
C’est à lui de convaincre le maître d’ouvrage de faire appel au spécialiste et de l’accompagner dans l’utilisation de la norme sur les missions d'ingénierie géotechnique.
MAF Assurances

Les études les plus chères sont celles que l’on n’a pas réalisées ! Cette vérité se confirme pour les désordres dus aux sols. Ils sont généralement la conséquence douloureuse de l’absence d’études géotechniques. Au point que le législateur vient de les rendre obligatoires pour les maisons individuelles dans les zones exposées au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif au retrait-gonflement des argiles1. Trois arrêtés du 22 juillet dernier précisent les zones exposées à ce phénomène, le contenu des études géotechniques à réaliser, et présentent les techniques particulières de construction dans ces zones2. Ces textes, qui sont entrés en vigueur le 1er octobre dernier, doivent être connus des architectes. 
Par ailleurs, rappelons que les contraintes imposées par la MAF en matière d’études de sol concernent la maison individuelle en zone sismique : l’étude y est obligatoire dans les zones de sismicité supérieures à 2 mais est recommandée dans tous les cas. 
En-dehors de la maison individuelle, les constructions ne sont généralement pas soumises à des études de sol obligatoires. Toutefois, ces dernières restent importantes en matière de sinistralité et d’assurabilité. Preuve en est avec le projet d’évolution du DTU 13-1 sur les fondations superficielles : « Dans ce cadre, explique Michel Klein, directeur des sinistres de la MAF, les assureurs examinent actuellement les conditions dans lesquelles ils pourraient refuser d’accorder leur garantie en l’absence d’une étude de dimensionnement des ouvrages géotechniques (mission G2 PRO3, voir encadré page de droite) ».
Dans ce contexte général, l’architecte doit être conscient du risque auquel il s’expose lorsqu’il conçoit en l’absence d’études de sol complètes. C’est à lui de convaincre son client de faire appel au géotechnicien dans le cadre de la norme NF P 94-500.

 

Facteur 1 000 

Rappelons que les coûts de réparation des désordres de nature géotechnique peuvent atteindre un facteur 1 000 : « L’absence d’une étude géotechnique qui aurait coûté 1 000 euros peut générer un sinistre d’un million d’euros », constate Ludovic Patouret, expert au cabinet de conseil et d’expertise Gecamex. Les sinistres géotechniques sont liés : aux fondations sujettes aux tassements différentiels ; aux soutènements, parois cloutées, parois berlinoises, parois moulées et autres ouvrages spéciaux qui impactent également les avoisinants ; ou ils sont consécutifs à la présence de l’eau dans les sols (venues d’eau dans les ouvrages et poussées hydrostatiques). Dans tous les cas, les conséquences matérielles et immatérielles peuvent être considérables (évacuation ou effondrement d’avoisinants, par exemple). Alors, faut-il rendre obligatoires les études de sol dans tous les cas ?

 

Tout constructeur est responsable

« Le caractère obligatoire ou non de l’étude géotechnique est secondaire », remarque Cyrille Charbonneau, avocat. L’article 1792 du Code civil précise que tout constructeur d'un ouvrage est responsable des dommages, même de ceux qui résultent d'un vice du sol. Et cela, quel que soit l’ouvrage à réaliser – travaux neufs ou sur existants. « Le législateur estime que ce qui est sous l’ouvrage fait partie du projet », poursuit l’avocat. Autrement dit, qu’il est impossible d’exclure le rapport d’imputabilité entre le sol et la construction réalisée dessus. Le constructeur – l’architecte en particulier – est donc responsable des conséquences dommageables qui naissent du sol. 
De plus, l’architecte est le premier constructeur à intervenir dans une opération. C’est lui qui appréhende et adapte le projet aux premières hypothèses de comportement du sol dès le premier coup de crayon, ou presque : l’architecte est au coeur du sujet. Dans un arrêt de 20195, la Cour de cassation a rappelé que l’architecte, auteur du projet chargé d’établir les documents du permis de construire, devait proposer un projet réalisable tenant compte des contraintes du sol. « Il n’est pas possible de soutenir que l’architecte n’est pas concerné par le sol, même au stade des études d’avant-projet », rappelle l’avocat. « La question, poursuit Cyrille Charbonneau, est plutôt de savoir si l’architecte a besoin d’informations pour adapter le projet au sol.» Ce point est capital – dans un contexte où les terrains aujourd’hui disponibles sont souvent de piètre qualité (les terrains de bonne qualité sont généralement déjà construits) – et pas suffisamment traité. 

 

Une norme pour guider les constructeurs 

Les informations sur les caractéristiques du sol ne tombent pas du ciel : il faut aller les chercher et les analyser. C’est à l’architecte qu’il revient de convaincre le maître d’ouvrage de faire appel au spécialiste lorsque c’est nécessaire. Cette pédagogie se fait également par écrit, compte tenu de l’enjeu. Le maître d’ouvrage doit comprendre son rôle : s’assurer de la conception coopérative du projet entre lui, le géotechnicien, le bureau d’études et l’architecte ; et s’appuyer sur une mission structurée confiée au géotechnicien. 
Depuis 2001, les géotechniciens ont organisé leur métier autour de la norme NF P 94-500. La version de 2013 établit un parallèle entre les missions de conception générale et les missions d’études géotechniques. Ainsi, à chaque étape de la conception (APS, APD, PRO…) correspond une étape géotechnique (G1, G2, G3, G4 et G5). Les missions s’enchaînent en cohérence avec l’évolution du projet (voir encadré page de droite). « Et pour que cette cohérence soit optimale, la norme préconise également de faire appel au même géotechnicien pour suivre le projet de A à Z », signale Ludovic Patouret (lorsqu’en phase d’étude d’exécution le géotechnicien de l’entreprise assure la mission, elle est supervisée par le géotechnicien qui a réalisé la conception).

 

Approche globale du projet 

Si le géotechnicien arrive trop tard dans les études de conception, le risque est d’avancer dans un projet inadapté au sol. Le surcoût d’un changement de fondations spéciales en cours d’études peut remettre en question le projet (les parois moulées n’ont pas le même poids économique qu’un terrassement par passes successives, par exemple). Il est donc important que le géotechnicien soit missionné en parallèle des études de conception générale et à toutes ses étapes. Sa mission ne peut pas être partielle : tout comme l’architecte, le géotechnicien doit appréhender le projet de façon globale. « En cas de sinistre et si une mission G2 a été écartée, alerte Ludovic Patouret, le risque est de voir le géotechnicien tenter de dégager sa responsabilité devant le juge, ce dernier retenant facilement le défaut de conseil du maître d’ouvrage par l’architecte.» Car, même en présence d’un géotechnicien, l’architecte n’est pas dispensé de jouer son rôle d’accompagnateur du maître d’ouvrage en matière géotechnique. Il veille notamment à ce que tous les intervenants – contrôleur technique, BET, entreprises… – disposent, au même moment, du même niveau de connaissance des études de sol, et inversement, que le géotechnicien dispose des données à jour du projet. 
Par ailleurs, soulignons que le défaut d’études de sol génère bien souvent des désordres en cours de chantier. La couverture assurantielle des bureaux de contrôle, BET structure, BET démolition, entreprises… n’étant généralement pas optimale avant la réception de travaux – parfois plafonnée, parfois absente, car facultative, – l’architecte peut facilement être condamné in solidum pour solvabiliser le sinistre, faisant peser un risque accru sur ce dernier.

 

De G1 à G5, les missions de la norme

  • G1 (G1 esquisse et G1 principes généraux de conception) : études préliminaires en phases d’esquisse et d’APS ;
  • G2 (G2 avant-projet, G2 PRO et G2 DCE) : études de conception en phase d’avant-projet définitif (APD),
  • de projet (PRO), et de consultation des entreprises (DCE), cette dernière étant souvent négligée, à tort ;
  • G3 : études géotechniques de réalisation, souvent confiée à l’entreprise ;
  • G4 : études d’exécution avec visa des plans et contrôle des ouvrages exécutés ;
  • G5 : études de diagnostic géotechnique spécifique, notamment en cas de désordre
  • (investigations et études complémentaires).

Pour en savoir plus :
La norme NF P 94-500 – Classification des missions géotechniques types (par l’Union syndicale géotechnique).

 

1. Article 68 de la loi du 23 novembre 2018 sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN) 
2. Les 3 arrêtés du 22 juillet 2020 : JORF n°0192 du 6 août 2020 ; JORF n°0200 du 15 août 2020 et JORF n°0200 du 15 août 2020. 
3. Voir la norme NF P 94-500 de novembre 2013 sur les missions d'ingénierie géotechnique — Classification et spécifications (voir encadré) 
4. Toutefois, dans deux arrêts de 2018 et 2019, la cour de cassation a admis qu’il existe des risques imprévisibles dans le sol : lorsque le vice du sol ne pouvait être détecté compte tenu de l’état des connaissances techniques (Cass. 3ème civ., 7 novembre 2019, n° 18-19027) ; et en cas de risque accidentel du sol alors que, malgré tous les sondages possibles, il aurait fallu avoir une chance inouïe pour tomber à l’endroit où se situait le problème (Cass. 3ème civ., 6 décembre 2018, n° 17-26678). 
5. Cass. 3ème civ., 21 novembre 2019, n° 16- 23509, Bull.

 

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