Lorsqu’il se dit qu’il sera architecte, Julien Haase est en cours de français, assis dans une salle de classe comme seul l’architecte Georges Adilon sait les imaginer. De ce jour à la reprise de l’agence AER architectes, aux côtés d’Emmanuel Brochier et Frédérique Blanchard, il nous raconte son parcours et le regard qu’il pose sur l’architecture.
Bonjour Julien !
Bonjour.
Vous êtes à la tête de l’agence AER architectes, c’est bien cela ?
Oui, avec Emmanuel Brochier, architecte, et Frédérique Blanchard, architecte.
En ce qui me concerne, ma carrière a débuté aux côtés de Thierry Roche, gérant de l’agence éponyme, connue pour la qualité de ses logements avec lequel j’ai eu l’occasion de travailler plusieurs années avant d’éprouver le désir d’entreprendre.
AER est arrivée à ce moment-là sous la forme d’une double opportunité : reprendre le flambeau d’une agence fondée en 1976 par deux associés arrivés à l’âge de la retraite et retourner vivre à Annecy, où j’ai grandi.
C’est l’histoire d’une reprise collective finalement.
Oui. Je suis allé chercher Emmanuel Brochier que je connaissais de Lyon et avec lequel j’avais eu plaisir à travailler. Frédérique était déjà là car elle était salariée.
C’est comme ça que l’association s’est faite, entre 2013 et 2015.
Quelles sont les spécialités de l’agence ?
De ne pas en avoir, justement. C’est historiquement dans l’ADN de l’agence de se faire une spécialité du territoire plus que de la typologie des biens construits. Depuis sa création, elle revendique la nécessité, l’envie, le besoin de faire notre métier d’architecte de A à Z. Comprenez : de la conception à l’exécution.
Notre reprise n’a pas trahi cette philosophie à laquelle nous adhérons totalement chez AER. Nous pensons qu’elle est source de fraîcheur, stimule, motive et nourrit.
Est-ce que cette approche n’est pas bloquante pour postuler à certains projets face justement à des spécialistes ?
Je ne crois pas. Ou alors je ne le sens pas. Nous souhaitons concentrer notre activité à proximité de l’agence, dans une limite d’1h30. Ce qui laisse un terrain de jeu relativement vaste allant de la Savoie à l’Ain, du pays de Gex à la Haute-Savoie.
Néanmoins, notre curiosité et les challenges nous conduisent parfois bien au-delà de ce territoire. Je pense notamment à un collège, situé à Talmont Saint-Hilaire, en Vendée, dont le chantier va débuter prochainement.
Pourquoi un collège en Vendée ?
Parce que nous avons des arguments et une crédibilité certaine en la matière. Ce qui est indispensable en marché public où des références sont demandées.
En ce qui concerne celui-ci, la dimension environnementale ambitieuse nous a aussi beaucoup attiré : construction bois, Niveau E4C2, ventilation naturelle…
A côté des collèges, je crois savoir que vous travaillez régulièrement avec la maîtrise d’ouvrage publique …
Oui, comme je le disais nous avons de nombreuses références en équipements publics : collèges, lycées, bâtiments culturels à petites ou grandes échelles, belles salles des fêtes, parc des expositions …
Et du logement !
Tout à fait, avec un pôle dédié aux équipements publics et un autre dédié aux logements, principalement collectifs ou intermédiaires. A cela s’ajoutent une activité importante en bâtiments tertiaires.
3 pôles donc. Se retrouvent-ils dans votre organisation ?
Nous veillons à éviter les trop fortes spécialisations. Notre structuration se fait davantage autour d’un pôle conception, avec des architectes, des graphistes, des dessinateurs et un pôle travaux, composé de conducteurs et pilotes de chantiers, d’assistants techniques, etc.
Une répartition que l’on retrouve entre les associés ?
Non, Frédérique est en charge de la direction opérationnelle, Emmanuel et moi sommes davantage chargés du développement commercial et du relationnel avec les clients et les partenaires.
Lorsque l’on est à la tête d’une agence d’une quarantaine de personnes comme c’est votre cas, on est davantage architecte ou chef d’entreprise ?
Les deux ! (Rires)
Selon moi, on n’est jamais assez architecte, mais on l’est au quotidien dans notre proximité avec les équipes, dans le suivi en fonction des différentes phases …
Vous dessinez encore ?
Bien sûr et c’est essentiel ! La vie de l’agence demande beaucoup de gestion, c’est une évidence, mais elle est aussi ponctuée de moments où seul l’architecte compte, sur des problématiques très précises.
C’est à ces occasions que l’on interroge et améliore le projet, que l’on y décèle de potentielles évolutions.
Ainsi, pour revenir à votre question : oui, je suis plus que jamais architecte.
Je ne revendique pas la paternité d’une esquisse ou d’une idée, en revanche, sur chaque projet, nous avons, tous, à notre niveau nourri la réflexion et participé à la création. Notre ambition est de faire collectivement.
Qu’est ce qui occupe l’esprit lorsque l’on est à la tête d’une agence d’architecture ?
Il me semble que le rôle d’un dirigeant d’entreprise, ou d’agence en l’occurrence, est d’établir une vision claire de ce que nous sommes et de ce vers quoi nous voulons tendre. Cela impose d’anticiper et se projeter alors même que nos métiers de la conception se transforment vite dans un monde qui appelle des adaptations constantes.
Le secteur de la construction est appelé à jouer un rôle pour relever les nombreux défis en matière de préservation de l’environnement …
Oui, les enjeux sont colossaux. D’autant plus que notre territoire, rural, est particulièrement concerné par les problématiques de décarbonation et de désartificialisation des sols dans un contexte de pression foncière qui s’intensifie.
La crise sanitaire a renforcé l’attractivité de ces territoires et nombreux sont les citadins qui recherchent une meilleure qualité de vie. Face à cela, on doit composer avec des PLU de moins en moins permissifs.
Charge à nous d’être en mesure de réinterroger nos pratiques …
Cette ruralité que vous évoquez n’est-elle pas un frein au recrutement de nouveaux talents ?
Depuis notre reprise de l’agence, nous suivons une ligne claire : mettre la qualité au cœur de notre pratique.
Après 10 ans à s’appliquer ce mantra, nos références, nos livraisons, reconnues, plaident en notre faveur et sont notre meilleure vitrine. Cela concourt directement à l’attractivité de l’agence.
Nous n’avons pas de difficulté à recruter. La complexité réside davantage dans notre capacité à accompagner les changements de mentalité.
C’est-à-dire ?
Il me semble que les nouvelles générations bousculent ce que nous avons connu. La patience qui nous était imposée, n’est plus de mise. Elles veulent vivre tout de suite et je peux les comprendre : ces jeunes femmes et hommes sont coincés entre les dernières années où on les a empêchés de vivre, et un futur qu’on décrit comme incertain.
Si vous n’aviez pas été architecte, qu’auriez-vous fait ?
Hum … Cuisinier me semble-t-il ! J’aime l’idée de faire, d’allier la pensée et l’action. C’est ce qui m’amine dans notre métier d’architecte.
Quel est votre premier souvenir d’architecture ?
Ce sont de vieux souvenirs ! Je devoir avoir 7 ans et j’ai visité le Centre Pompidou à Paris. Le travail de Piano et Rogers m’a bouleversé, je l’ai trouvé … formidable.
C’est ce jour que vous vous êtes dit : je veux devenir architecte ?
Non, c’est arrivé plus tard, à l’époque où j’étais scolarisé à l’internat mariste de Sainte Marie à La Verpillière, proche de Lyon. Je me souviens très bien être assis en cours de français, et être saisi par cette réalisation de Georges Adilon, non orthogonale, avec ses fenêtres rondes.
C’est à cet instant que j’ai su que je voulais être architecte.
Quelle est la plus belle réalisation architecturale selon vous ?
Je garde un souvenir très fort de mon séjour aux Thermes de Vals, en Suisse, de Peter Zumthor. J’y ai découvert une architecture qui se vit au travers des 5 sens. Une expérience très … immersive et prégnante !