Avec A-BIME, son bureau d’études, il se lance en pionner sur un territoire à défricher : le HBIM (Heritage Building Information Modeling). Rencontre.
Bonjour Didier, et bienvenue dans ce nouvel épisode de MAF & Vous. Prêt à lever le voile sur votre bureau d’études d’un genre un peu… novateur ?
Bonjour ! Avec plaisir.
Vous êtes à la tête d’A-BIME et avez deux amours : le BIM et les constructions d’hier.
Effectivement ! A-BIME est un acronyme pour : Ancien Bâtiment Informatisé, Modélisé, Expertisé. Il est né en 2015, de mon association avec Marie-Cécile Groux et Mathieu Bruez, sur un créneau aussi innovant qu’inépuisable puisque nous nous intéressons à tous les bâtiments, d’aujourd’hui jusqu’au néolithique.
Autant dire qu’après moi, il y encore aura du travail pour une bonne dizaine de générations !
Ce créneau, quel est-il ?
C’est l’utilisation de la maquette BIM pour les bâtiments existants. Cette idée est née d’une frustration liée à mon parcours de sculpteur restaurateur d’œuvres d’art.
J’intervenais régulièrement sur des façades abîmées. Au-delà de l’érosion du temps, elles souffraient par exemple de la fuite d’une gouttière.
Or les opérations se cantonnaient souvent à rénover sans supprimer la fuite !
Et là vous vous dîtes, utilisons le BIM ?
J’ai surtout compris le besoin d’accompagner le maître d’ouvrage faisant face à un bâtiment dont il ne sait pas toujours quoi faire. Et pourtant, c’est de lui que part l’ambition, la volonté d’entretenir ou de restaurer.
Nous sommes alors dans les années 90 et je sens qu’il est indispensable de les impliquer davantage dans la vision globale de l’édifice.
A ce moment, le BIM apparaît, essentiellement porté sur les constructions neuves…
Oui, sauf que mes bâtiments aussi ont été neufs. Lorsque l’on s’intéresse à l’ancien, on est face à une succession de bâtiments neufs, les uns imbriqués par-dessus les autres.
Le BIM était une réponse évidente à ma problématique de départ : créer une interface partagée entre les discours, parfois très différents, du maître d’ouvrage et du maître d’œuvre.
Il y a donc eu une première fois ?
Oui. Elle s’est présentée un peu par hasard, alors que je travaillais sur des problèmes de réseaux à la Fondation Le Corbusier, dans le cadre de son classement au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
Rapidement, l’idée est venue de remonter jusqu’à l’appartement Le Corbusier tel qu’il était initialement, sur la base des archives dont nous disposions.
C’est-à-dire ?
Grâce à un important travail de documentation et de recherche, nous avons pu documenter la manière dont étaient concrètement mis en œuvre les matériaux dans l’appartement situé rue Nungesser et Coli, à Paris.
Traduits numériquement, ces éléments ont donné naissance à la toute première maquette BIM du genre. C’était en 2016.
Nous l’avons ensuite présentée à la Fondation Getty (dédiée à la compréhension et la préservation des arts visuels) qui a été sensible aux perspectives offertes par cet outil.
Quelles sont-elles ?
Une fondation a vocation à exposer des œuvres d’art. Certaines sont plus sensibles que d’autres à l’exposition au soleil. En croisant notre maquette avec des éléments géoréférencés comme l’ensoleillement, le BIM révèle des zones plus exposées que d’autres.
Ces données inédites sont précieuses en phase de conception d’un musée, lorsque l’on décide de l’implantation des œuvres.
C’est là qu’on comprend la force du HBIM : il va au-delà de l’architecture et se prolonge dans l’utilisation du bâtiment. Il permet de créer une nouvelle interface de dialogue entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage.
Avec cette première réalisation, vous teniez-là votre preuve de concept pour lancer votre bureau d’études ?
Oui ! Mais il restait toute de même de nombreux éléments à cadrer : collaboration entre des intervenants très différents, logiciels utilisés, méthodologie, etc.
Jusqu’ici, cette approche n’existait pas ?
Le BIM, si. Ce que nous avons inventé c’est l’offre autour du HBIM. La démarche en elle-même n’était pas forcément récente : les architectes des monuments historiques ont toujours travaillé avec des archivistes et des archéologues.
Notre apport réside dans la création de cette maquette que toutes les parties prenantes peuvent lire.
Aujourd’hui, votre concept s’est installé et vous travaillez sur des projets comme celui de la réhabilitation de la Prison Jacques Cartier à Rennes, dont le site d’informations en ligne www.lemoniteur.fr s’est fait récemment l’écho.
C’est un très bon exemple de convergence d’intérêts. Cette prison en déshérence, désaffectée depuis de nombreuses années s’est retrouvée dans le giron de la Métropole sans trop qu’elle ne sache quoi en faire.
S’est alors posée une question : quel avenir pour ce bâtiment remarquable ? Notre intervention a permis d’apporter des éléments de réponse.
Comment avez-vous procédé ?
En lien avec une historienne de l’art, nous avons reconstitué le parcours de la prison. Nous avons ainsi découvert qu’elle était le témoin de son époque, la fin du XIXème siècle, au moment où la loi de 1875 instaure le principe d’une réhabilitation des détenus par le travail, le silence et la religion.
Cette législation portait une idée nouvelle, en rupture avec les pratiques existantes : privilégier les cellules individuelles aux cellules collectives.
Ce changement de paradigme transpire de l’édifice que nous avions alors sous les yeux. Jardins vivriers, sanitaires et chapelle traduisent la vocation « réparatrice » de l’édifice.
Toutes ces informations ont été intégrées à la maquette numérique qui raconte la vie de la prison et les grandes étapes par lesquelles elle est passée.
Nous avons pu y intégrer la présence de plomb ou d’amiante, le nombre de portes et de fenêtres…
Ainsi, nous avons présenté aux élus bien plus que la restitution 3D d’un édifice qu’ils connaissent déjà : nous avons ouvert la porte à toutes les hypothèses.
Cette approche permet aussi de ne pas détruire sans savoir.
Et finalement, savez-vous ce qui a été décidé ?
A ce stade non (interview réalisée en janvier 2024, ndlr). Mais cela ne nous appartient pas. Ce sera le travail de l’architecte qui prendra la suite. Le nôtre est de raconter l’imbrication des bâtiments les uns dans les autres afin de préserver au mieux leur patrimoine.
Quand s’arrête votre mission ?
Techniquement, le BIM n’a pas de fin. La maquette peut sans cesse être enrichie en fonction des événements marquants de la vie d’une réalisation. Lors de l’achat d’une maison, le futur acquéreur n’a que très peu d’éléments sur son histoire. Avec une maquette BIM, la maîtrise d’ouvrage peut lancer de nouveaux projets grâce à un nouveau faisceau de paramètres importants.
Finalement, nous intervenons un peu à la manière des notaires : nous consignons les événements marquants propres à une construction.
Vous parlez ici de biens à destination de particuliers. Est-ce la réalité de vos missions ?
Aujourd’hui non. La majorité de nos clients sont des opérateurs publics qui comprennent très rapidement la pertinence de notre offre.
Lorsque vous gérez un parc de plusieurs centaines, voire milliers de constructions, la maquette BIM permet une vision globale. Le gouvernement ne s’y trompe pas et il existe aujourd’hui de grandes commandes pour numériser le patrimoine.
Qu'est-ce qui occupe l'esprit lorsque l'on se retrouve à la tête d’un bureau d’étude ?
La passion que l’on met dans notre métier. Mon plus grand défi est de limiter le temps passé sur chacun des projets afin de garantir la rentabilité de notre activité !
J’aime contribuer au renouveau de bâtiments face auxquels les maîtres d’ouvrage sont parfois un peu désœuvrés, à tel point qu’ils en oublient la richesse historique de leur patrimoine. Au cours de nos missions, nous constituons des équipes pluridisciplinaires dans lesquelles chacun apporte sa vision et son expertise.
Si vous n’aviez pas fait de BIM, qu’auriez-vous fait ?
Dans la version initiale de ma vie, je me prédestinais à être sculpteur. Aujourd’hui, il me semble que j’aimerais écrire une thèse pour aller au bout du sujet.
Que peut-on vous souhaiter pour 2024 ?
De réussir à expliquer davantage la pertinence du BIM à la génération qui est aux commandes aujourd’hui. Il nous faudra encore un peu de temps pour faire passer le message que le BIM n’est pas qu’un outil d’architecte mais aussi celui du maître d’ouvrage. C’est une ressource formidable pour l’aider à prendre des décisions !
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20 décembre 2024