La MAF gère un encours de 50 000 dossiers sinistres : autant d’obligations de service envers ses adhérents, mais aussi une base d’observations incomparable sur les pratiques de la profession, ses difficultés et ses réussites.
On voit tout l’intérêt qu’il y a à croiser ces données essentiellement quantitatives avec les enseignements plus qualitatifs issus des travaux conduits au sein du comité prospective que la MAF a mise en place en réunissant des architectes, des bureaux d’études, des maîtres d’ouvrage et des enseignants.
Compte tenu de sa position, la MAF est régulièrement interrogée sur l’évolution de la sinistralité des architectes. Derrière cette interrogation très générale, on trouve toutes les questions relatives à l’impact éventuel des nouvelles normes, à l’utilisation de nouvelles techniques constructives, à la mise en œuvre de nouveaux modes et outils de conception. Au risque de décevoir, force est de reconnaître qu’au cours de ces dernières années, les causes et sièges des désordres matériels ont relativement peu évolué.
La relation entre cycle économique et sinistralité a déjà été mise en évidence. Elle est apparue de manière plus flagrante encore lors de la crise profonde qui a touché la profession et de façon plus large tous les acteurs de la construction, crise dont nous commençons tout juste à sortir. Je ne suis pas sûr que l’on ait pris la pleine mesure de l’effet destructeur de la crise sur le tissu des entreprises de construction. Je ne parle pas des plus importantes, mais des entreprises de taille moyenne ou plus petites qui interviennent sur une majorité de chantiers. La montée en flèche de la sinistralité liée à la défaillance des entreprises en phase chantier n’est sans doute que la face émergée de l’iceberg. Face à un tel phénomène, la profession ne saurait rester inactive. Loin de jeter l’anathème sur les entreprises, la profession doit s’organiser et prendre des initiatives, en mettant en place des outils de veille, en disposant des bons indicateurs, en partageant toutes les informations utiles.
Mais peut-être faut-il aller au-delà en réfléchissant aux pratiques elles-mêmes. Même dans les moments les plus difficiles, certaines agences ont su prévenir le risque, en jouant un rôle très actif dans la sélection des entreprises et en animant et fédérant de fait de véritables réseaux sur la base des critères économiques et d’exigences de qualité. Imaginer que tout peut repartir comme avant et que ce sujet est derrière nous est un leurre.
Qu’on le veuille ou non, la crédibilité de la profession est en partie indexée sur celle des entreprises avec lesquelles elle travaille. Pourquoi d’ailleurs ne pas en faire un sujet d’échanges voire de travail avec les différentes fédérations du bâtiment ?
La question de la taille et de l’organisation des agences ressort également comme une problématique majeure.
C’est un truisme que d’affirmer que les agences de très petite taille et peu structurées ont de plus en plus de mal à faire face à la complexité croissante des missions et aux exigences croissantes de leurs clients. Sans établir de corrélation définitive entre taille des agences et sinistralité, ni mettre en cause les compétences professionnelles de leurs titulaires, dans combien de dossiers malheureusement voyons-nous ces agences aux prises avec des difficultés sans nom, et cela parce qu’elles n’ont ni les ressources nécessaires ni l’organisation appropriée. La MAF n’est pas là pour prescrire ou recommander. Mais il n’en demeure pas moins que la gestion de la taille critique, au regard de la complexité du métier, ne peut manquer d’être posée.
L’éventail des solutions à la disposition des agences est large : de la mise en commun de moyen aux regroupements plus ou moins intégrateurs, en passant par la création de réseaux d’agences reposant sur l’existence d’affinités ou de complémentarités.
Dans ce domaine, il y a des réussites remarquables. La profession gagnerait beaucoup en faisant en sorte que ces réussites soient mieux identifiées, analysées, passées au crible d’une critique constructive. Toutes ces expériences, dès lors qu’elles permettent de surmonter au mieux cette espèce de « plafond de verre » que constitue la taille critique, devraient pouvoir être partagées au sein de la profession. Tous les autres secteurs d’activité le font, ce qui permet de raccourcir les courbes d’expérience, de parvenir plus vite à une meilleure maîtrise des facteurs de succès et de prévenir les risques d’échec.
Comparaison n’est pas raison, mais il n’est peut-être pas inutile de regarder comment la profession des avocats, elle-même très attachée à la notion d’exercice indépendant, a su se structurer ou se regrouper pour mieux répondre à la demande et faire face à la concurrence étrangère. La structuration de l’offre des architectes mérite enfin d’être évoquée. J’entends souvent dire que la question ne se pose pas dans la mesure où la loi, la loi MOP en particulier, définit très précisément les missions et donc corrélativement l’offre des architectes. Cette posture n’est sans doute plus tenable. Que cela nous plaise ou non, les agences d’architecture exercent leur activité dans un marché régi par la concurrence des offres entre elles. Qui n’a pas une offre reconnaissable, identifiable et dans une certaine mesure différenciante risque d’être marginalisé, voire de disparaître.
Certaines agences l’ont depuis longtemps parfaitement compris : elles ont développé des pôles de création et d’excellence qui leur valent une forte reconnaissance en France comme à l’étranger.
Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Combien d’agences, notamment petites et moyennes, n’ont pas d’offre visible et lisible ? Un book ne fait pas une offre. Une offre n’est pas qu’une image. C’est un ensemble complet et cohérent de prestations intellectuelles et de service destinées à séduire, mais aussi à rassurer pour enfin emporter l’adhésion du client maître d’ouvrage. C’est une réflexion que la profession, me semble-t-il, doit conduire, car le sujet n’est pas à la portée de toutes les agences. Le premier sujet d’application ne pourrait-il pas être celui de la maison individuelle ?
La MAF l’a abordé sous l’angle de la maîtrise raisonnée du risque, mais la question est à l’évidence beaucoup plus vaste : quelles sont les conditions, les pratiques, les modes d’exercice, cela sans tabou ni exclusive, susceptibles de permettre à des agences d’architecte de reprendre pied avec succès sur le marché de la maison individuelle ? La profession serait d’autant plus fondée à s’atteler à cette question que certaines agences peuvent se targuer de réussites incontestables : grâce à une offre très structurée et des pratiques reconnues, elles ont su battre en brèche la concurrence des constructeurs de maisons individuelles.
Capitaliser sur ces succès, organiser le partage d’expériences, encourager leur mise en œuvre serait sans doute de nature à reverser une tendance et à redonner à la création architecturale dans ce domaine si visible et si sensible une place qu’elle n’aurait pas dû perdre. La MAF, avec modestie et en restant sur le seul terrain où elle est légitime, est prête à s’associer à ces réflexions et à ces travaux, en versant aux débats toute la richesse d’informations dont elle dispose.
Cette tribune a été publiée dans le cadre des Universités d’été de l’architecture, organisées par l’Ordre des architectes et soutenues par la MAF. Retrouvez la sur www.universites-architecture.org et inscrivez-vous à la journée de clôture, le 7 juillet 2017 à Paris.
En revanche, trois grandes problématiques émergent autour des notions de cycle économique, de taille et d’organisation des agences et enfin de structuration de l’offre des architectes, ces problématiques étant à l’évidence interdépendantes.
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20 décembre 2024